Cours d’agriculture (Rozier)/ALIZIER

Hôtel Serpente (Tome premierp. 400-404).


ALIZIER, ou Allier. M. Tournefort le place dans la huitième section de la vingt-unième classe, qui comprend les arbres & les arbrisseaux à fleurs disposées en rose, dont le calice devient le fruit, & qui renferme des semences oblongues & cartilagineuses ; il le désigne par cette phrase : cratœgus folio sub rotundo, serrato, subtus incano ; & M. le chevalier Von Linné le classe dans l’icosandrie digynie, & l’appelle cratœgus aria.

Fleur, à cinq pétales disposés en rose ; les pétales sont arrondis, creusés en manière de cuiller : les étamines sont au nombre de vingt environ, & les styles au nombre de quatre ou cinq. Le calice est d’une seule pièce, ressemblant à une coupe, découpé en cinq sur ses bords : ce calice devient le fruit.

Fruit. Baie charnue, arrondie, terminée par un ombilic, comme toutes les poires ; elle renferme deux pepins ou semences oblongues.

Feuilles, ovales, inégalement dentelées, blanchâtres & cotoneuses par-dessus, portées sur de longs pétioles.

Racine, ligneuse, rameuse, ressemblant à celle des poiriers.

Port. Cet arbre acquiert la grandeur & la hauteur des poiriers ; il s’élève droit : ses fleurs naissent rassemblées en bouquet, & chaque fleur tient au péduncule général par un péduncule particulier ; les feuilles sont alternes.

Lieu : les forêts.

Propriétés. Le fruit est âpre, austère, astringent.

Usage ; peu employé. On peut cependant s’en servir dans les crachemens de sang. On laisse mûrir le fruit sur la paille comme les nèfles, & on le mange dans cet état.

M. Tournefort ne compte que quatre espèces d’alizier : celui qu’on vient de décrire est appelé aria, par Dalechamp ; celui à feuilles oblongues, dentelées & vertes des deux côtés, qui est le cotonaster à feuilles oblongues & dentelées de G. Bauhin ; l’alizier de Virginie à feuilles d’arbousier ; enfin l’alizier à feuilles découpées, qui est le sorbus torminalis de Dodoëns.

M. le chevalier Von Linné a réuni à l’alizier le sorbus torminalis, les oxiacantha, & les mespitus à feuilles découpées, comme celles du persil, & regarde les individus dont MM. Duhamel & le baron de Tschoudi ont donné la description, comme de simples variétés. M. Duhamel en compte six espèces ; l’alizier à feuilles découpées ; celui à feuilles arrondies, dentelées & découpées ; celui à feuilles arrondies moins découpées ; celui à feuilles arrondies & blanches en dessous, nommé alouche, en Bourgogne ; l’alizier à feuilles oblongues dentelées & vertes des deux côtés ; enfin l’alizier de Virginie à feuilles d’arbousier finement dentelées. M. le baron de Tschoudi, qui s’occupe sérieusement, & depuis long-tems, de la culture des arbres utiles & des arbres d’agrément, & qui sait très-bien observer, en compte sept espèces.

1o. L’alizier à feuilles ovales inégalement dentelées & velues par-dessous.

2o. L’alizier à feuilles en forme de cœur, à sept angles, & dont les lobes sont divergens.

3o. L’alizier à feuilles ovales oblongues, dentelées & vertes des deux côtés. Alizier d’Italie.

4o. L’alizier à feuilles oblongues & ovales, crenelées, argentées par-dessous. Alizier nain, alizier de Virginie, alizier à feuilles d’arbousier.

5o. Alizier à feuilles arrondies, dentelées, blanches en dessous, ou alouche de Bourgogne.

6o. Alizier à feuilles plus longues que rondes, légérement découpées, blanchâtres & laineuses des deux côtés. Le caractère lanugineux du dessus de la feuille n’est bien sensible que dans les jeunes feuilles.

7o. L’alizier à feuilles de pommier, à écorce rude, à gros fruit jaune en forme de poire.

Malgré l’énumération scrupuleuse & nécessaire qu’on vient de donner, il sera encore difficile de faire concorder les sentimens de ceux qui ont écrit sur cette espèce d’arbre. Il en est peu qui soient fournis à tant de caprices, ou peut-être qui facilitent plus les espèces hibrides.

L’alizier, ou cratœgusaria, est très-connu sous le nom d’allier, dans les bois de Mussi-l’Évêque, près de Langres, où il croît dans un terrain sec & maigre ; on le trouve également dans presque toute la Bourgogne, surtout près de St. Seine ; à Lugny dans le Mâconois, où il croît au milieu des buis élevés en forêt. On le trouve encore assez communément en Franche-Comté, dans tout le Mont-Jura, & même dans les Alpes des environs, où il est mêlé presque à partie égale avec le chêne, ce qui produit un agréable coup d’œil par les deux verdures des feuilles qui forment un contraste singulier, ainsi que dans les Alpes du Dauphiné. Celui que les bourguignons appellent alouche, est l’alizier commun, & celui qu’ils nomment aubrier est un autre alizier. L’alizier de Fontainebleau est encore une autre espèce, ou une autre variété. À la Ferrière, en Suisse, on voit l’alizier multiplié dans les différens terrains ; & ses individus présentent tant de variétés, qu’il est impossible de les décrire toutes ; cependant, aucune de ces variétés ne ressemble à celle de l’alizier de Fontainebleau, ni à celle nommée aubrier, en Bourgogne. Est-ce le mêlange des poussières fécondantes, qui a produit toutes ces variétés ? Cette question sera examinée plus attentivement au mot Espèce, & au mot Hibride. Il est étonnant que le chevalier Von Linné n’ait pas parlé de l’alizier de Fontainebleau, puisqu’il a herborisé dans cette forêt, & qu’il le confonde avec l’aria, en citant la phrase de Gaspard Bauhin : Cratœgus alni effigie folio laniato major. Cette comparaison dans le port & dans la feuille de l’arbre de l’alizier commun avec l’aune, est peu exacte, tandis que l’alizier de Fontainebleau a, comme l’aune, la feuille ronde, ainsi que la tête, & qu’il porte un ombrage assez large ; au lieu que le vrai aria s’élève presque comme un cyprès. Passons aux observations de M. de Tschoudi sur les espèces énoncées plus haut.

Les aliziers n°. 1 & 2 peuvent être greffés sur l’épine & sur le poirier. Le fruit du premier est d’un rouge éclatant ; celui du second, d’un brun obscur quand il mollit : alors il est bon à manger, & on le vend par bouquets sur les marchés d’Allemagne. Le bois du premier est fort dur ; on en fait des alluchons, des fuseaux dans les rouages des moulins ; il est recherché par les tourneurs & par les menuisiers pour la monture de leurs outils. Dans la forêt de Lugny en Mâconois, on en fait des peignes aussi bons, & qui se vendent autant que les peignes de buis ; ses jeunes branches servent à faire des flûtes & des fifres.

Lorsque le vent agite les rameaux de l’alizier n°. 1, il découvre le dessous des feuilles, & l’arbre paroît tout blanc. Cet effet forme dans les plantations d’agrément, une variété très-pittoresque.

Il vient fort bien de graines préparées & semées selon la méthode détaillée au mot Alaterne. On les sème en Novembre & en Décembre, & elles lèvent à la fin d’Avril. Si les petits aliziers sont bien gouvernés, au bout de sept ans ils formeront des arbres propres à être plantés à demeure.

Le n°. 2 se multiplie de même ; mais sa graine ne lève pas aussi aisément, ni aussi abondamment, & les jeunes arbres sont bien plus long-tems avant de figurer. Il vaut mieux prendre les jeunes plantes dans les bois, hautes de trois ou quatre pieds, venues de graines ou de surgeons, & les élever ensuite en pépinière pendant quelques années.

M. de Tschoudi avoue n’avoir pas cultivé l’alizier n°. 3, & il parle d’après Miller. Cet alizier croît de lui-même sur le Mont-Baldus, & dans d’autres parties montagneuses de l’Italie ; il s’élève environ à vingt pieds de haut, se divise en plusieurs branches bien fournies de feuilles oblongues & dentées, disposées alternativement, & attachées à des pédicules très-courts ; ces feuilles ont environ trois pouces de long, sur un & demi de large : elles sont d’un brun obscur des deux côtés ; les fleurs naissent au bout des branches par petits bouquets, composés ordinairement de quatre ou cinq : elles sont blanches & bien plus petites que celles des espèces précédentes ; il leur succède des fruits de la grosseur de ceux de l’épine blanche, qui deviennent d’un brun obscur en mûrissant. Cette espèce se multiplie comme les autres : mais elle demande une terre forte & profonde, autrement elle ne profite pas ; elle résiste fort bien au froid.

Le caractère exprimé par le n°. 4, paroît convenir à un petit alizier que M. de Tschoudi cultive sous le nom d’alizier de Virginie. On ne peut cependant pas l’assurer, 1o. parce que la baie de cet alizier devient très-noire, tandis que, suivant Miller, celle de l’alizier de Virginie est d’un pourpre très-foncé ; 2o. parce qu’il ne paroît guère devoir s’élever au dessus de trois ou quatre pieds, tandis que Miller dit qu’il s’élève à six ; 3o. parce que sa baie contient nombre de pepins, & que le caractère des aliziers est communément de n’en avoir que deux.

Quoi qu’il en soit, l’espèce dont parle M. de Tschoudi, est un très-joli arbuste qui se charge vers la fin de Mai d’assez gros bouquets de fleurs blanches, garnies d’une houpe d’étamines à sommets purpurins. Cette parure lui assigne une place sur le devant des massifs des bosquets de Mai. Le nombre prodigieux de baies noires & luisantes dont il est couvert sur la fin de Juillet, doit le faire employer dans les bosquets d’été. On peut l’enter ou l’écussonner sur l’épine blanche : mais la greffe prend difficilement ; il pousse des branches si menues, qu’on peut à peine y trouver des scions ou écussons convenables, & il faut une grande dextérité pour les manier. Il y a un autre inconvénient, c’est que le sujet devient très-gros en proportion de la greffe qui s’y trouve implantée, ce qui cause enfin la perte de cet arbuste, qui d’ailleurs paroît défectueux par cette disproportion.

C’est ce qu’on peut éviter en le greffant sur le cotonaster ou sur l’amélanchier, (voyez Amélanchier) qui sont à peu près de la même taille que lui ; mais il ne faut pas négliger de le multiplier par semence ; voilà le seul moyen de lui donner toute la hauteur & toute la beauté dont la nature l’a rendu susceptible. On prépare ses baies & l’on sème ses graines suivant la méthode détaillée à l’article Alaterne. Les plantules qui en proviennent font d’abord des progrès très-lents ; mais la quatrième année, elles poussent avec vigueur.

Les aliziers n°. 5 & 6 se greffent sur l’aria ou alizier commun, & sur l’épine blanche ; les écussons s’attachent & reprennent fort bien. Sur l’épine, il faut écussonner fort bas ; mais sur l’aria ou n°. 1, on peut poser l’écusson aussi haut que l’on voudra, pourvu que ce ne soit pas sur une tige fort grêle.

Le n°. 7 paroît former une nuance très-déliée entre les aliziers & les poiriers, tant par la forme extérieure du fruit, que par les cinq loges qui se trouvent à son centre, & qui contiennent chacune un pepin : aussi quelques-uns l’appellent l’alizier poirier. Plusieurs pépiniéristes le cultivent sous le nom d’azerolier à gros fruit. On le greffe avec succès sur l’alizier n°. 1, sur l’épine & sur le poirier ; il pousse médiocrement sur l’alizier, & plus vigoureusement sur l’épine ; sur le poirier, il vient fort bien, végète sobrement, ne tarde point à rapporter, & donne un plus gros fruit, surtout si l’on veut confier son bourgeon à un poirier de beurré ou d’épargne.

Ce petit fruit est très-joli : on le préféreroit volontiers, pour le goût, aux sorbes, aux nêfles, aux azeroles ; on en fait des confitures agréables. Cet arbre porte, à la fin de Mai, d’assez gros bouquets de fleurs blanches qui lui assignent une place dans les bosquets de ce mois ; son feuillage n’a aucun mérite : mais l’éclat de son fruit doit le faire entrer dans la composition des bosquets d’été.