Cours d’agriculture (Rozier)/ALATERNE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 379-383).
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ALATERNE. M. Tournefort place cet arbuste dans la première section de la vingtième classe, qui comprend les arbres & les arbrisseaux à fleur monopétale, dont le pistil devient un fruit mou, rempli de semences dures ; & d’après Clusius, il l’appelle alaternus prior. M. le chevalier Von Linné le nomme rhamnus alaternus, & il le classe dans la pentandrie monogynie.

M. le baron de Tschoudi, aussi excellent observateur qu’habile cultivateur, a suivi avec soin l’éducation de cet arbuste difficile à élever dans les provinces du nord, & qu’on trouve assez fréquemment dans les terrains humides de Provence & de Languedoc. Nous allons rapporter ses observations.

Cet arbuste porte de petites fleurs peu apparentes, rassemblées en forme de petites grappes, garnies seulement par leur extrémité. M. Duhamel semble ne pas admettre la réunion des trois différentes fleurs sur le même individu ; cependant, après une exacte observation, M. de Tschoudi s’est parfaitement assuré que le même alaterne porte des fleurs mâles, des fleurs femelles & des fleurs hermaphrodites ; & M. le chevalier Von Linné dit que les fleurs sont dioïques, c’est-à-dire, que les fleurs mâles naissent sur un pied, & les fleurs femelles sur un pied différent. À coup sûr quelqu’un se trompe, ou bien quelques individus d’alaterne peuvent présenter ces bigarrures, & les observateurs avoir raison.

Les fleurs mâles sont composées d’un calice d’une seule pièce, en forme d’entonnoir, découpé par les bords en cinq parties ; du bas des échancrures s’élèvent, entre les segmens du calice, cinq petits pétales qu’on ne distingue aisément qu’avec le loupe. C’est sans doute leur extrême ténuité qui a fait croire à M. Tournefort que ces fleurs en étoient entiérement dépourvues. À l’orifice des pétales, naissent dans l’intérieur du calice cinq étamines terminées par des sommets arrondis.

Les fleurs femelles, au lieu d’étamines, ont un pistil composé d’un embryon & de trois styles, surmontés par des stigmates arrondis.

On sait que les fleurs hermaphrodites réunissent les parties sexuelles des mâles & des femelles.

Les feuilles sont posées alternativement sur les branches, ce qui suffit pour distinguer l’alaterne du philaria, (Voyez ce mot) qui les a opposées ; mais cette observation ne devient nécessaire que lorsqu’on ne peut voir ni le fruit, ni la fleur de ces deux arbres, dont la différence empêche de les confondre.

Espèces & variétés de l’Alaterne. 1. Alaterne à feuilles ovales, crenelées par les bords. Il en existe une variété à feuilles marbrées de jaune.

2. Alaterne à feuilles lancéolées & profondément dentelées. Il a une variété à feuilles bordées de blanc, & une autre variété à feuilles bordées de jaune.

3. Alaterne à feuilles presque en cœur & dentelées.

4. Alaterne à feuilles ovales lancéolées & non dentelées.

Le n°. 1, & sa variété marbrée de jaune, font un très-bel effet, mêlés ensemble en massif dans les bosquets d’hiver. Cet arbuste est d’un beau port, & bien garni de feuilles ; elles sont d’un verd foncé & fort luisant : le dessous est du plus beau verd clair ; mais pour peu qu’il soit frappé du froid, il se charge d’une rouille noirâtre qui en diminue l’éclat. Le jeune bois est couvert d’un épiderme poli, d’un violet foncé ; les vieilles branches sont noirâtres ; la fleur petite & verte ne produit aucun effet. Le fruit noir des alaternes est le seul ornement dont leur verdure soit décorée. Dans les provinces du nord du royaume, il fleurit en Juillet & en Août ; & dans les provinces méridionales, au mois de Juin.

L’alaterne n°. 2 porte des feuilles oblongues, ressemblantes aux feuilles de saule ; son jeune bois est rougeâtre ; ses branches sont plus menues, plus courtes, plus convergentes vers la tige que celles de la première espèce ; ce qui donne à cet arbuste un port pyramidal. Ses deux variétés à panaches sont précieuses pour l’ornement des bosquets d’hiver ; mais elles sont très-délicates, sur-tout celle panachée de blanc. Les panaches des feuilles qui semblent être une coquetterie de la nature, n’en sont le plus souvent qu’une dépravation : ainsi les jaunes se rapprochant plus du verd, indiquent un changement total dans le tissu cellulaire, rendent les feuilles faciles à être gâtées, ou du moins altérées ou enlaidies par la moindre intempérie de l’air.

L’espèce n°. 4 est fort belle ; la largeur de ses feuilles la rend très-précieuse, à cause de leur petit nombre ; elles sont toujours vertes. Cette espèce vient d’Espagne, & exige par conséquent d’être bien abritée. Miller conseille de marcotter & de planter cet arbre en automne.

Les alaternes s’élèvent assez facilement de graine : ceux qu’on obtient par cette voie de multiplication, sont plus droits & deviennent plus hauts que ceux élevés de marcottes. Ils atteignent, dans les lieux où ils se plaisent, à la hauteur de 12 à 20 pieds, suivant la croissance déterminée des espèces ; au lieu que ceux provenans de marcottes retiennent toujours quelques habitudes de la première courbure ; & comme ils n’ont souvent des racines que d’un côté, & qu’elles sont très-horizontales, ils ne peuvent s’élancer autant que les arbres venus de graines, lesquels sont pourvus d’un bel empatement de racines.

Lorsque l’on veut se procurer de la graine d’alaterne, il faut la faire venir des provinces méridionales, & des autres pays où croissent les différentes espèces ; mais si l’on en veut recueillir chez soi, il est nécessaire de couvrir avec des filets les arbres chargés de baies ; car les oiseaux en sont très-friands, & n’en laisseront aucune. Ces graines mûrissent assez bien dans les provinces septentrionales, si on a eu l’attention de planter les alaternes, dont on se propose de recueillir la graine, le long d’un mur exposé au midi, & qu’on ait eu soin de faire choix, dans cette vue, des individus qui ont le plus de fleurs femelles ou de fleurs androgynes.

Les baies bien mûres & recueillies, il faut aussitôt les écraser dans une jatte pleine d’eau, jusqu’à ce qu’on en ait détaché toute la pulpe ; ensuite, on passera le tout à travers un tamis, & il restera un marc mêlé de pepins ; ce marc doit être éparpillé sur un grand plat, que l’on mettra à l’ombre en un lieu chaud ; lorsque ce marc sera sec, on l’émiera avec les doigts. Cela fait, préparez des caisses de huit pouces de profondeur, trouées par le bas ; posez sur les trous des écailles d’huître par leur côté concave ; remplissez ces caisses d’une bonne terre de dessous le gazon, ou des côtés d’une haie, mêlée d’une partie de sable sec & d’une partie de terreau ; répandez les graines, & distribuez-les également ; recouvrez-les d’une couche d’un pouce d’épaisseur, & d’une terre mêlée, par parties égales, de terreau de bois pourri, & de terre de haie ou de prairie ; enterrez cette caisse à l’exposition du levant, jusqu’au mois d’Octobre : ensuite, faites-lui passer l’hiver dans une caisse à vitrage ; au printems, enterrez-la dans une couche tempérée & légérement ombragée, & vos graines lèveront surement & abondamment.

Ce semis sera placé l’automne suivante, dans une caisse à vitrage. Dès les derniers jours de Septembre de l’année suivante, on transplante ces petits alaternes dans une ou plusieurs caisses plus grandes que les premières, à cinq pouces les uns des autres. On pourra en planter le tiers dans des pots, où ils resteront jusqu’à ce qu’on les mette sur place. Quant à la petite pépinière encaissée, on peut y laisser les arbustes pendant un ou deux ans ; ensuite, selon les climats & les commodités, on les mettra en pépinières à dix pouces les uns des autres, contre un mur au couchant, ayant l’attention de les couvrir durant la rigoureuse saison, ou bien on les plantera à demeure, en les couvrant aussi dès que les gelées deviendront un peu fortes.

Il ne faut pas négliger la voie des marcottes : elle est utile pour ceux qui ne peuvent se procurer de la graine, & elle sert à multiplier les espèces les plus rares ; mais elle est indispensable pour les alaternes panachés, car leur graine reproduit rarement cette variété.

Les marcottes doivent se faire vers le 20 Septembre. Qu’on couche doucement les jeunes branches dans une petite cavité creusée pour cet effet, où l’on aura apporté de la terre fraîche, mêlée de terreau ; qu’on y essaie la courbure de la branche, pour juger où pourra tomber la partie la plus inférieure de la courbure. Qu’on fasse en cet endroit une coche qui entame le tiers de l’épaisseur du bois ; qu’on applique cette coche contre terre, en y assujettissant la branche avec un crochet de bois ; qu’on relève ensuite doucement le bout de la branche contre un bâton sur lequel on la liera, sans néanmoins trop l’obliger à prendre la perpendiculaire, lorsqu’elle ne s’y dispose pas naturellement ; qu’on couvre de mousse ou de litière sèche les pieds de ces marcottes ; qu’on les arrose de tems à autre : l’automne suivante elles seront pourvues de racines ; alors on pourra les transplanter, mais avec beaucoup de précautions & de soins : si on veut être sûr de la reprise, il faudra attendre encore un an.

Les alaternes perdent leurs feuilles & leur jeune bois dans les serres humides. On en doit conserver quelques pieds, surtout des panachés, dans de bonnes orangeries. Ils passent très-bien l’hiver dans des caisses à vitrage, lorsque l’on a soin de leur donner de l’air toutes les fois qu’on le peut sans danger. On peut en mettre en espalier, pour garnir des parties de mur au couchant. M. de Tschoudi a vu un mur de vingt pieds de haut tout garni de trois pieds d’alaterne n°. 1 ; mais l’usage le plus agréable qu’on puisse en faire, est de les disposer en massif dans les bosquets d’hiver, ayant attention de placer le n°. 1 vers les parties les plus enfoncées, & l’alaterne à feuilles en forme de cœur sur le devant, en les entremêlant de variétés à panache, qui ressortiront mieux à côté d’une verdure simple. Mais pour réussir dans cette opération, il faut choisir ou se procurer artificiellement une partie du bosquet d’hiver, garantie du nord-est, nord & nord-ouest, & s’il se peut de l’est & du sud-est ; car le soleil venant à frapper les feuilles chargées des neiges du printems, ou d’autres frimats, les altérera de manière à leur ôter toute leur beauté. On peut se procurer cet abri, en relevant des terres, & en y plantant des haies d’if ou de tuya.

Voici la couverture que M. le baron de Tschoudi a trouvée la meilleure, après une expérience de dix années, & les avoir toutes essayées.

Mettez du moellon brisé au pied de l’arbuste, afin d’empêcher les vapeurs de s’élever, & ces vapeurs augmentent l’effet de la gelée ; puis rapprochez les branches du tronc, sans qu’elles se touchent, en les liant avec des osiers fins ; fichez circulairement autour de l’arbuste, & à une distance convenable de son pied, des bâtons qui surpassent d’environ un pied le bout de sa flèche ; rapprochez leurs bouts, croisez-les & les liez ensemble, vous aurez un cône un peu renflé dans le milieu ; ajustez tout autour de la longue paille qui traînera un peu sur terre par le bas, & que vous rassemblerez & lierez en haut ; doublez le haut du cône d’une paille plus courte que vous étendrez fort épais, & que vous lierez vers la pointe, comme pour former une faîtière ; écartez la paille vers le milieu du cône du côté du nord & du midi, pour y laisser passer un courant d’air, tant que le froid n’est pas trop vif. Vers le dix d’Avril, vous donnerez encore plus d’air ; vers le 15, vous ne laisserez de paille que du côté du nord. À la première pluie, vous découvrirez entiérement vos alaternes que vous trouverez en bon état. Il sera bon de placer une souricière à plusieurs trous, au pied de chaque arbuste ; car il arrive quelquefois durant les neiges, que les petits rats, appelés muscardins, rongent l’écorce des arbres ainsi couverts. Que l’on continue ces soins jusqu’à ce que les arbres aient un tronc suffisamment fort, on parviendra enfin à former des alaternes aguerris contre les frimats ; car une fois que leur bois aura acquis une certaine consistance, si quelques-unes de leurs branches manquent pendant l’hiver, on les retranchera au printems : ils répareront aisément cette perte, & ne seront jamais sensiblement altérés.

Propriétés. Le bois ressemble assez à celui du chêne verd, & on s’en sert pour les ouvrages d’ébenisterie. On fait peu d’usage, en médecine, des différentes parties de cet arbre. Quelques auteurs lui attribuent les mêmes propriétés qu’au nerprun. (Voyez ce mot) D’autres le regardent comme un astringent utile dans les gargarismes pour les maux de gorge.