Cours d’agriculture (Rozier)/ÉCHENILLER, ÉCHENILLOIR

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 120-122).


ÉCHENILLER, détruire les chenilles. ÉCHENILLOIR, outil dont on se sert à cet effet. Il est représenté dans la gravure des Outils du jardinage. Si tous les habitans d’un canton ne concourent pas à la fois, & à plusieurs reprises, à détruire complètement les chenilles (voyez ce mot) les opérations partielles manqueront leur but. Quelques papillons échappés perpétueront l’espèce, & chaque année il faudra recommencer. Souvent les pluies du printemps produisent plus d’effet que la multiplicité des loix, des arrêts & des ordonnances de police. Le froid inattendu est leur plus cruel ennemi. M. Guettard, de l’académie des sciences, proposa, en 1778, des réflexions sur l’échenillage ; elles méritent d’être connues : en voici le précis.

La crainte où sont les gens de la campagne de perdre leurs arbres, lorsqu’ils sont attaqués par une certaine quantité de chenilles, paroît à l’auteur une terreur panique. Des réglemens faits & renouvelés de temps en temps, ordonnent d’écheniller, sous peine d’amende pécuniaire. C’est donc rendre service aux gens de la campagne, & par conséquent à L’agriculture, que de tâcher de les faire revenir de cette crainte, ainsi que les personnes chargées de l’administration ; on n’enlèverait pas les paysans aux travaux de l’agriculture dans un temps précieux, & le gouvernement ne dépenseroit pas, comme en 1777, jusqu’à 10000 livres, dans la généralité de Paris, pour le seul échenillage des arbres des grandes routes.

Il faut cependant avouer que l’état où les bois & les vergers sont réduits, dans certaines années, a quelque chose d’effrayant ; quelquefois dans les plus belles saisons ils offrent, à la vue, le triste spectacle de l’hiver. Le point de la question consiste à savoir si ce dépouillement total des feuilles nuit aux arbres. M. Guettard tient pour la négative, au moins pour les arbres forestiers ; il cite, pour preuve de son sentiment, la récolte de la feuille de mûrier, qui, six semaines après, est aussi chargé de feuilles qu’il l’étoit auparavant, & ce dépouillement a été complet. Le mûrier feroit-il donc une exception à la loi générale ? Mais, suivant le besoin, ce même mûrier est quelquefois dépouillé deux fois dans une même saison, sans que l’arbre paroisse en souffrir dans ses productions de l’année suivante. Dans les jardins d’ornemens, ne taille & n’émonde-t-on pas plusieurs fois, entre le printemps & l’automne, les palissades de charmilles, de buis, &c. & cette soustraction énorme des feuilles, faite tout à la fois, est-elle moins redoutable que la soustraction lente & progressive produite par les chenilles ? M. Guettard a vu, près de Montelimar, effeuiller entièrement, non des mûriers, mais d’autres arbres, afin de donner à manger aux bestiaux.

L’auteur convient que l’échenillage peut être bon en lui-même, mais que le bien qui en résulte, ne compense pas la perte du temps des hommes attachés à l’agriculture dans des momens où les travaux sont le plus pressans. En effet, en 1777, plusieurs particuliers aimèrent mieux couper leurs haies que de passer des semaines entières écheniller, & sur-tout pour se soustraire à l’amende.

Je conviens, avec M. Guettard, que l’échenillage des arbres des grandes routes est assez inutile, & peut-être que la chenille de l’ormeau n’attaquerait pas d’autres arbres, à moins qu’elle ne trouvât absolument plus de quoi manger ; il est bien constant que de telles chenilles ne sauroient vivre sur les blés, sur les vignes, & que le mal qu’elles procurent est plus apparent que réel.

Ces chenilles causent-elles la perte du fruit des arbres forestiers ? Je ne puis décider la question, quoique très-importante, puisque le manque de gland occasionne une très-grosse perte dans plusieurs provinces. Je puis attester les deux faits suivans. J’ai vu les hannetons, si multipliés, qu’ils dévorèrent jusqu’aux feuilles d’un noyer, & cependant la récolte des noix fut bonne. En 1780, le mouches cantharides ne laissèrent pas l’apparence de feuilles aux frênes ; leurs graines n’en souffrirent aucunement, puisque celles de ces mêmes arbres, que j’ai semées, ont parfaitement levé & végété. Je ne prétends point conclure de ces deux faits, peut-être isolés, qu’il ne faille pas écheniller les arbres de nos jardins, de nos vergers : quand même il n’en résulteroit aucun mal pour les fruits, un pareil spectacle a quelque chose de dégoûtant. J’ajoute que, malgré les deux faits cités, j’ai vu plusieurs fois les fruits se dessécher sur l’arbre, & rarement venir à bien lorsque les feuilles avoient été dévorées par les chenilles. Cette contrariété, dans les effets, dépend peut-être de l’époque à laquelle ces insectes font leurs ravages. La bonne saison de l’échenillage est en hiver ; alors tous les insectes & les œufs sont renfermés dans le nid, & en le supprimant, on coupe le mal par la racine, sans espoir de retour. L’échenillage d’hiver ne fait presque aucun tort à l’arbre, parce que les chenilles placent toujours leurs nids sur les bourgeons de l’année précédente, afin que lorsque les petits viendront à éclore, il se trouvent plus près des feuilles les plus tendres, & parsemées en plus grande abondance sur ces jeunes rameaux. Aussitôt qu’un arbre est échenillé, on doit ramasser, avec le plus grand soin, les morceaux de bois sur lesquels les nids sont attachés, & les brûler sur le champ.