Cours d’agriculture (Rozier)/CHENILLE

Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 217-233).
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CHENILLE. Comme ce Cours d’Agriculture, n’est pas un Cours d’Histoire Naturelle, on pourra, si on désire de plus grands détails, consulter les ouvrages de MM. de Réaumur, Lyonet, le Dictionnaire de M. Valmont de Bomare, Malpighi, Swamerdam, Bonnet, Géer, &c. On répéteroit ici inutilement ce qui sera dit de la métamorphose de la chenille en chrysalide, & de chrysalide en papillon, puisqu’il faudra entrer dans ces détails à l’article Ver à soie. La loi de la nature est, en général, la même pour les insectes de cette immense famille. Nous ne parlerons donc ici que de celles qui sont nuisibles à l’agriculture.


Plan du travail sur la Chenille.


CHAPITRE PREMIER. Des caractères distinctifs de la Chenille, page 217
CHAP. II. De quelques espèces de chenilles qu’il est important de connoître, à cause des ravages qu’elles font.
Article premier. Chenilles communes, 218
Art. II. Chenilles arpenteuses, 220
Art. III. Chenilles surnommées la livrée, 221
Art. IV. Chenilles processionnaires, 222
Art. V. Chenilles du pin, 224
Art. VI. Chenilles à oreilles, 225
Art. VII. Chenilles du chou, ibid.
Art. VIII. Chenilles des grains, 226
CHAP. III. Dégâts des Chenilles, de leurs ennemis, & comment les détruire.
Article premier. Des dommages que les chenilles causent aux arbres & aux plantes, 227
Art. II. Des ennemis des Chenilles, 228
Art. III. Des moyens qu’on peut employer pour détruire les chenilles, 231


CHAPITRE PREMIER.

Des Caractères distinctifs de la Chenille.


Le caractère distinctif de la chenille est d’avoir un corps alongé, composé de douze parties qu’on nomme des anneaux ; d’une tête écailleuse, garnie de deux dents ; de seize jambes au plus, & jamais moins de huit, dont les six premières ou antérieures, qui sont écailleuses, sont incapables de s’alonger ou de se raccourcir d’une manière sensible. Les autres jambes, dont le nombre est relatif aux différentes espèces sont membraneuses ; l’insecte les alonge, les raccourcit à son gré, selon les circonstances. Toutes les chenilles ont généralement six jambes écailleuses ; elles sont placées par paires aux trois premiers anneaux de leurs corps. Elles n’ont pas toutes le même nombre de jambes membraneuses ; il y en a qui n’en ont que deux, placées au dernier anneau de leur corps ; d’autres en ont quatre, six, huit, dix. Le genre des chenilles renferme un nombre prodigieux d’espèces, qui sont toutes extrêmement variées, soit pour la grandeur, la couleur & la figure : il y en a qui sont rases ; d’autres sont plus ou moins velues : le corps de plusieurs espèces est garni de pointes pareilles à des épines ; il y en a quelques-unes où le poil est distribué de manière qu’il forme des aigrettes, des brosses, des houppes : d’autres ont la peau raboteuse ou chagrinée : quelques-unes ont une corne recourbée vers l’extrémité de leur corps. Toutes les chenilles, qui ont depuis huit jusqu’à seize jambes, subissent une métamorphose qui les change en papillons : celles qui ont plus de seize jambes se changent en mouches : on les appelle pour cet effet fausses chenilles.

La manière de vivre des chenilles en est presque aussi variée que leurs espèces. Il y en a qui aiment à vivre seules dans la retraite qu’elles choisissent ; d’autres se plaisent ensemble & forment des sociétés. On trouve des espèces qui vivent dans la terre, dans l’intérieur des plantes, dans les troncs d’arbres, dans leurs racines. Le plus grand nombre se plaît sur les feuilles, les arbres, les plantes : à portée des alimens qui leur sont nécessaires, elles n’ont d’autres précautions pour se garantir des injures du mauvais temps, que de se cacher sous les feuilles, sous les branches, jusqu’à ce qu’elles puissent reparoître sans danger. Quelques-unes, pour se mettre en sureté, roulent des feuilles pour se retirer dans la cavité formée par les plis ; d’autres, d’une très-petite espèce, habitent & vivent dans l’intérieur même des feuilles, où elles ne sont point apperçues des ennemis qu’elles ont à craindre. Il y en a qui, pour mieux tromper leurs ennemis, se forment exactement une maisonnette en forme de tuyau, qui les rend invisibles, & les accompagne par-tout.


CHAPITRE II.

De quelques espèces de Chenilles qu’il est important de connoître,
à cause des ravages qu’elles font.


Article premier.

Chenille commune.


La chenille commune est une de celles qui vivent en société, & qui, par cette raison, fait les plus grands ravages aux arbres sur lesquels elle vit. On lui a donné le nom de commune, parce que c’est une espèce qui paroît presque tous les ans en assez grand nombre. Elle multiplie tellement, que chaque année on peut en voir deux générations, lorsqu’on néglige de les détruire. Chaque papillon femelle pond jusqu’à trois ou quatre cents œufs, d’où sortent autant de chenilles, qui multiplient dans la même progression ; de sorte qu’une seule peut être dans une année la mère de plus d’un million d’individus de son espèce. Cette prodigieuse fécondité prouve la nécessité de veiller à la destruction de ces insectes, capables de ravager tous nos arbres. On sera peut-être étonné de cette prodigieuse fécondité, & on demandera à quoi elle sert. Si l’Auteur de la nature n’avoit considéré que l’homme dans la formation de l’univers, il est constant que les chenilles auroient été superflues dans la création ; mais on doit observer que le nombre de chaque insecte est proportionné à celui des individus qu’il doit nourrir. La chenille, la mouche ne sont donc pas inutiles, puisqu’elles servent d’aliment à tous les oiseaux qui ont le bec pointu. Cette chenille, de grandeur médiocre & velue, a seize jambes. À la vue simple, on ne distingue point l’arrangement de ses poils, qui sont roux. La couleur de son corps est brune. On apperçoit de chaque côté, à une distance égale de l’origine de ses jambes & du milieu de son dos, deux lignes de taches blanches, formées par des poils courts. Sur le milieu du dos, on remarque de petites taches rougeâtres. Sur l’anneau auquel est attachée la dernière paire des jambes membraneuses, & sur le suivant, on observe au milieu un mammelon rouge.

Le papillon, qui pond les œufs d’où naissent ces espèces de chenilles, est blanc, & d’une grandeur moyenne. La femelle fait sa ponte quinze jours ou trois semaines après qu’elle a quitté sa dépouille de chrysalide, parce qu’elle est secondée par le mâle presqu’aussi-tôt qu’elle sort de sa prison. Elle dépose ses œufs sur des feuilles, & les enveloppe d’une espèce de soie jaune, formée des poils qui sont à l’extrémité de son corps. Dès que les chenilles sont écloses, elles se mettent à manger & à filer, pour construire un nid, où elles se retirent pendant la nuit, & qui doit aussi leur servir de retraite pendant l’hiver. Elles supportent la rigueur de cette saison sans périr, en attendant le retour du printemps, pour sortir de leur solitude & aller ronger les feuilles naissantes. On voit en automne beaucoup de ces nids sur les arbres fruitiers, qui paroissent encore mieux en hiver, lorsque les arbres sont dépouillés de leurs feuilles. On apperçoit alors de gros paquets de soie blanche, qui enveloppent quelques feuilles à l’extrémité des branches. À mesure que les jeunes chenilles prennent leur accroissement, leur logement devient plus vaste, parce qu’elles filent toujours extérieurement, en rompant les fils intérieurs, afin d’avoir plus d’espace.

La chenille commune est regardée avec raison comme l’insecte le plus destructeur, parce que les feuilles de différentes espèces d’arbres & d’arbrisseaux sont également de son goût. Dans les vergers, elle attaque surtout les poiriers, les pommiers, les pruniers ; elle ne dédaigne pas les feuilles de rosiers & de quantité d’autres arbustes. Dans la campagne, elle s’établit sur les chênes, les ormes, l’aubépine, &c. Les jeunes fruits sont aussi de son goût ; souvent elle ronge les jeunes poires, les jeunes abricots, quand même elle a des feuilles à sa disposition. Le nid des chenilles, où nous avons dit qu’elles se retirent, est pour elles un asyle assuré, qui les met à couvert de toutes les injures du temps. La pluie ne peut point y entrer, parce que toutes les issues sont en-bas ; de sorte qu’elles glissent sans pénétrer le tissu soyeux dont il est construit. Quand il pleut, elles s’y retirent, de même que lorsque le soleil est trop ardent. Quand elles veulent changer de peau, c’est encore dans ce nid qu’elles vont quitter leurs dépouilles : aussi est-il fort ordinaire de l’en trouver rempli, lorsqu’on le prend après que les chenilles en sont délogées. Dès que l’hiver approche, quelquefois même à la fin de septembre, lorsqu’il commence à faire froid, elles se retirent dans leur nid, pour y passer la mauvaise saison. Dans cette retraite, elles sont immobiles, paroissent mortes tant que le froid continue. Dans le mois de mars, lorsqu’il commence à faire un peu chaud, elles en sortent pour se répandre sur l’arbre, afin de ronger les jeunes feuilles à mesure qu’elles vont paroître. Si la chaleur continue, elles prennent promptement leur accroissement ; on a bien de la peine alors à les détruire, parce qu’elles sont répandues par-tout : on n’a plus d’espérance que dans les pluies froides qui les font mourir, & dans les oiseaux qui en dévorent beaucoup.


Article II.

Chenilles arpenteuses.


Il y a deux classes de chenilles arpenteuses, qu’on distingue sur-tout par le nombre de leurs jambes membraneuses, & par la variété de leurs couleurs. La première classe est de celles qui ont dix jambes ; six écailleuses, deux postérieures, deux intermédiaires. La seconde comprend celles qui ont douze jambes ; six écailleuses, quatre intermédiaires, & deux postérieures. Le corps de ces espèces de chenilles est long, effilé, d’une couleur verte, plus ou moins foncée, selon l’âge de l’insecte, ou l’époque où il doit changer de peau. Les arpenteuses à douze jambes ont quatre raies citron, qui règnent dans toute la longueur de leur corps. On ne s’apperçoit pas toujours des dégâts qu’elles sont capables de faire, & qu’elles font réellement ; parce qu’assez communément elles habitent les forêts. Il y a cependant des années où elles sont répandues par-tout, & dévorent toutes les feuilles des arbres & des plantes, Le printemps est la saison où ces espèces de chenilles sont très-communes : vers la fin du mois de mai, elles disparoissent pour aller se métamorphoser en chrysalide dans les trous des murs, ou dans le creux des arbres. Le papillon qui sort de la chrysalide des chenilles de cette espèce, est de la seconde classe des nocturnes. La couleur de son corps & du dessous de ses ailes, est d’un gris plus brun que le cendré, ainsi que le dessus des ailes inférieures : le dessus des autres est nuancé de rouge, de jaune, de gris & de brun. On apperçoit sur ces mêmes ailes une tache d’un jaune brillant, qui a presque la figure d’un Y. La femelle de ces papillons pond des œufs en forme de bouton, qu’elle place de côté & d’autre, où elle se trouve ; ce qui met dans l’impossibilité de les détruire, par la difficulté de les découvrir. On a chaque année au moins deux générations de ces insectes : la dernière fait sa ponte au mois d’août ; au mois de mai de l’année suivante, elle est en état de produire d’autres individus de son espèce, qui pondront comme elle au mois d’août.

M. de Réaumur, dans le huitième mémoire du second volume de l’Histoire des Insectes, rapporte tous les dégâts que firent les arpenteuses à douze jambes, en 1735. Il en parut une quantité étonnante aux environs de Paris, & dans plusieurs provinces de la France, qui attaquèrent les légumes, les plantes potagères, qu’elles dévorèrent tellement, qu’on ne voyoit plus que la tige & les côtes des feuilles. Tous les jardins furent dévastés, de même que les campagnes semées de haricots & de pois. Il étoit fort ordinaire de trouver des quantités de ces chenilles distribuées par troupes, qui traversoient les chemins, pour aller dévaster un champ semé de légumes, après avoir tout dévoré dans celui qu’elles abandonnoient. Elles attaquent indifféremment toutes sortes de plantes : quand elles n’ont pas à leur disposition des légumes, des plantes potagères, qu’elles préfèrent, elles vont manger les feuilles de la renouée, du trèfle, du gramen, des chardons, de la bardanne, de la sauge, de l’absinthe. Elles aiment passionnément les feuilles de chanvre, celles des avoines, & ne dédaignent pas celles du tabac, dont il semble que l’amertume devroit les éloigner. Quand le chanvre est jeune, elles en rongent l’extrémité, ce qui l’empêche de croître & de donner de la graine.


Article III.

Chenille surnommée la Livrée.


La chenille à livrée est ainsi nommée, à cause des bandes longitudinales de diverses couleurs, qui parent son corps, & lui donnent quelque ressemblance à un ruban. Il règne au milieu de son dos, dans toute la longueur, un petit filet blanc, accompagné de chaque côté d’une bande bleue, bordée de part & d’autre d’un cordonnet rougeâtre : sa tête & sa partie postérieure sont bleuâtres. Cette chenille est très-commune dans les jardins & les vergers. Les feuilles des arbres à fruit, & celles de plusieurs autres sont de son goût. Il y a des années où elle est si commune, qu’elle fait les plus grands dégâts, qu’elle dépouille de leurs feuilles tous les arbres fruitiers sur lesquels elle s’établit.

Pour se métamorphoser en chrysalide, la chenille à livrée file une soie presque blanche, dont elle construit une coque à peu près semblable à celle du ver à soie. Cette coque, d’un tissu très-fin, seroit transparente, si elle n’étoit poudrée intérieurement d’une poussière jaune, qui la rend opaque, & lui donne une couleur citron, sans laquelle elle seroit blanche. À peine la coque est-elle finie, que la chenille jette par l’anus une matière jaune & liquide, qu’elle étend avec sa tête contre les parois intérieures de sa coque. Cette matière, ainsi distribuée & appliquée, donne à la coque en séchant promptement, cette couleur jaune qu’elle a. Lorsqu’on froisse ces coques avec les doigts, il s’en détache une poussière, qui n’est autre chose que la matière liquide que la chenille a jetée par l’anus, qui s’est desséchée tout de suite. Au bout d’un mois environ, il sort de ces coques des papillons, dont les ailes sont en partie d’un clair tirant sur l’agate, en partie isabelle. On distingue le mâle à sa couleur, qui est plus claire, & à son activité : la femelle ne fait point usage de ses ailes pour aller trouver le mâle ; elle attend qu’il vienne la féconder.

Il seroit sans doute très-intéressant de détruire les couvées de ces sortes d’insectes, si nuisibles par leur voracité ; mais l’industrie des femelles les dérobe souvent à nos yeux & à nos recherches. Pour peu qu’on ait été curieux d’observer dans la campagne où les femelles des papillons ont déposé leurs œufs, il est rare qu’on n’ait point remarqué, autour des jeunes branches d’arbres, des anneaux de cinq ou six lignes de largeur, formés par de petits grains, qui sont les œufs de cette espèce de chenille, que la femelle du papillon dépose & arrange en forme de spirale, quelquefois au nombre de deux ou trois cents. Ils passent ainsi l’hiver, sans que le froid fasse mourir le germe qu’ils contiennent. Quand les arbres sont à notre portée, on peut s’amuser à les chercher, pour les détruire : mais comment les voir sur des arbres très-élevés ?

Au retour du printemps, tous ces œufs éclosent ; il en sort des chenilles qui vivent en société pendant leur enfance : elles filent ensemble une toile qui leur sert de tente, sous laquelle elles ont soin de faire entrer quelques feuilles pour se nourrir. Dès que la provision est finie, la famille se transporte à un autre endroit de l’arbre, où elle peut trouver d’autres provisions : là elle s’établit, en formant avec sa toile une tente qui enveloppe les feuilles qui sont à sa portée. Dès que la provision est finie, elle déloge. Ce petit manège, qui dure tout le temps que les chenilles sont jeunes, suffit pour dépouiller un arbre entièrement, quand il y a deux ou trois de ces familles qui sont assez nombreuses. À mesure qu’elles prennent leur accroissement, elles se dispersent de côté & d’autre. Si on ne connoît point la ruse ni l’industrie de ces insectes, on croit, en voyant tous les jours de nouveaux nids, que ce sont d’autres familles qu’on n’avoit pas apperçues : souvent c’est la même, qui voyage de côté & d’autre, à mesure qu’elle consomme les provisions des lieux qu’elle habite.


Article IV.

Chenille Processionnaire.


La chenille processionnaire, ou évolutionnaire, est de la classe de celles qui ont seize jambes. Elle est de grandeur médiocre : sa couleur est un brun presque noir au-dessus du dos, blanchâtre sur les côtés & sous le ventre. Elle est couverte de poils très-blancs, & si longs, qu’ils egalent presque la longueur de leur corps : ils s’élèvent perpendiculairement jusqu’à très-peu de distance de leur bout, qui se termine en crochet, dont la pointe est dirigée en arrière.

Cette espèce de chenille multiplie prodigieusement : chaque couvée compose une famille de sept à huit cents individus, qui ne se séparent jamais, tant qu’ils vivent sous la forme de chenilles. Ces insectes changent de peau, & subissent leur métamorphose en chrysalide, dans le même nid où ils ont vécu en société. Dès que les papillons sont sortis de leur fourreau, ils se dispersent de côté & d’autre pour s’accoupler & pondre, afin de donner naissance à de nouvelles familles. Tant que ces espèces de chenilles sont jeunes, elles n’ont point d’établissement fixe ; les différentes familles vont tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, sur le même arbre où elles sont nées : elles filent ensemble pour former des nids qui leur servent d’asyle. À mesure qu’elles changent de peau, elles quittent leur ancien établissement, pour aller en former un autre ailleurs. Quand elles sont parvenues au terme de leur accroissement, qui n’est point éloigné de celui de leur métamorphose en chrysalide, l’habitation qu’elles choisissent alors est fixe ; elles y subissent leur métamorphose, & n’en sortent plus que sous la forme de papillons.

Les nids propres à contenir des familles si nombreuses sont assez considérables ; il y en a qui ont jusqu’à dix-huit à vingt pouces de longueur, sur six à sept de largeur. Ils forment une espèce de poche, dont l’ouverture, qui leur sert d’entrée, est contre le tronc, ou quelque branche principale de l’arbre sous lequel il est placé. C’est ordinairement sur les chênes qu’elles habitent : ce nid est leur retraite pendant le jour ; elles en sortent pendant la nuit, pour aller ronger les feuilles qui leur servent de nourriture. La soie dont ces nids sont faits, est d’un blanc grisâtre. Il est rare d’en trouver dans le milieu des forêts ; c’est ordinairement sur les lisières qu’on rencontre ces sortes de républiques.

Quand ces insectes quittent leur logement pour aller s’établir ailleurs, leur marche est faite avec un ordre assez singulier, pour mériter d’être remarqué. Au moment qu’ils sortent de leur habitation, une chenille va la première, & ouvre la marche ; les autres la suivent à la file, en formant une espèce de cordon. La première est toujours seule ; les autres sont quelquefois deux, trois, quatre de front : elles observent un alignement si parfait, que la tête de l’une ne passe pas celle de l’autre. Quand la conductrice s’arrête, la troupe qui la suit, n’avance point ; elle attend que celle qui est à la tête, se détermine à marcher, pour la suivre. C’est dans cet ordre qu’on les voit souvent traverser les chemins, ou passer d’un arbre à l’autre, quand elles ne trouvent plus de quoi vivre sur celui qu’elles abandonnent. Elles observent l’ordre de cette marche, même pendant la nuit, lorsqu’elles sortent de leur nid pour aller prendre leur repas. À la pointe du jour, elles se rendent dans leur habitation, en observant toujours la même marche. Quelquefois on en voit, pendant le jour, hors de leur nid, pour prendre le frais, s’il fait trop chaud : elles sont alors collées contre le tronc ou quelque branche de l’arbre, à la file les unes des autres, sans faire aucun mouvement, à peu de distance de leur asyle.

Quand on veut détruire, ou qu’on est simplement curieux d’examiner les nids de la chenille processionnaire, il faut les toucher avec beaucoup de précautions, à cause des démangeaisons violentes, suivies d’enflures, qu’ils sont capables de causer. Nous avons observé que ces chenilles se retirent dans leurs nids pour changer de peau : toutes ces dépouilles & les poils dont elles sont couvertes, se brisent pour se réduire en poussière très-fine. Quand on touche ces nids, les poils brisés s’élèvent en forme de poussière qui s’attache aux mains, au visage, comme les piquans des orties que l’on touche : cette poussière cause sur la peau des démangeaisons très-cuisantes, accompagnées d’inflammation qui dure quatre ou cinq jours, pour peu qu’on ait la peau délicate. Les plus dangereux sont ceux d’où les papillons sont sortis, parce que leurs dépouilles ont eu le temps de se briser en séchant, & de se réduire en poussière très-fine. Ils ne sont point aussi à craindre quand ils sont habités par les chenilles. Les plus vieux sont par conséquent ceux qu’il faut toucher avec une plus grande précaution, afin de ne pas s’exposer aux démangeaisons qui en sont la suite.

Les papillons qui proviennent de ces espèces de chenilles, sont des phalènes sans trompe, à antennes barbues. Leurs ailes, en forme de toit, sont d’une couleur grise, noire, disposée par ondes & par taches. Le mâle & la femelle n’ont point entre eux une différence qui soit bien remarquable.


Article V.

Chenille du pin.


La chenille du pin ne doit point être rangée dans la classe de celles dont nous avons à nous plaindre. Les dégâts qu’elle fait ne peuvent ni exciter, ni mériter notre vengeance : peu nous importe qu’elle ronge les feuilles étroites & pointues du pin, qui est le seul arbre qu’elle attaque. Loin de nous nuire, elle construit des cocons avec la soie qu’elle file, qui pourroient être d’une grande utilité, si on prenoit les soins nécessaires pour les préparer & les mettre en état d’être cardés. Cette chenille, très-commune dans les endroits incultes, où croissent les pins, est de grandeur médiocre ; c’est-à-dire, de douze à quinze lignes, & de la classe de celles qui ont seize jambes. Sa peau, noire en dessus, est très-velue ; en dessous elle est de couleur de feuilles mortes : sa tête est ronde & noire. Ces chenilles vivent en société dans un nid que toute la famille a contribué à construire, par son industrie & ses talens : elles s’y retirent pendant la nuit ; dès qu’il fait jour, elles en sortent pour se répandre sur l’arbre où elles vont ronger les feuilles pour vivre. Leur marche, quand elles sortent & rentrent dans leur nid, est dans le même ordre que celle des processionnaires. Quand cette espèce de chenille touche au moment de sa métamorphose, elle se retire dans la terre pour la subir. Le papillon qui sort de sa chrysalide, n’a pas des couleurs propres à le faire remarquer ; ses ailes sont d’un gris-blanc cendré, avec des raies brunes transversales ; le dessous est tout gris. La femelle de ce papillon fait sa ponte en juin ou juillet, de sorte que les chenilles sont écloses au mois d’août ; elles ont par conséquent le temps de croître assez pour passer, sans danger, l’hiver dans leur nid.

La chenille du pin file en commun des cocons de la grosseur des melons ordinaires, qui lui servent de nid. La soie, qui en forme le tissu, exigeroit peut-être peu de soins pour pouvoir être mise en œuvre. Quelques expériences faites par divers naturalises, semblent indiquer qu’on pourroit en tirer une bonne soie. M. Valmont de Bomare rapporte, dans son Dictionnaire d’Histoire Naturelle, qu’on fit, il y a quelques années, de très-bons bas avec cette soie, arrangée seulement à la main, & filée sans autre préparation. M. Raoul, conseiller au parlement de Bordeaux, ne fut point aussi heureux dans l’essai qu’il fit pour envoyer à M. de Réaumur, parce qu’il avoit mis cette soie dans de l’eau bouillante de savon. Les premières expériences n’indiquent pas toujours les procédés qu’il faut suivre : ce n’est qu’à force de les répéter qu’on peut espérer quelque succès, & qu’on peut apprendre le procédé convenable qui échappe souvent, parce qu’il est très-simple.


Article VI.

Chenille à oreilles.


La chenille à oreilles est ainsi surnommée à cause de deux tubercules éminens, placés de chaque côté de la tête, en forme d’oreilles. Elle est de moyenne grandeur, demi-velue, chargée de tubercules d’où partent des touffes de poils noirs & hérissés. Elle file une coque en forme de réseau, dans laquelle s’opère sa métamorphose en chrysalide. Le papillon qui en sort a les ailes couleurs d’agate : la femelle, plus grosse, a ses ailes d’un blanc sale, & elle ne s’en sert point pour voler. Elle dépose ses œufs autour des jeunes branches d’arbres en forme de spirale. Heureusement que cette espèce n’est pas toujours bien commune ; il est même rare qu’elle multiplie beaucoup. Cependant il y a des années où les couvées sont si abondantes & réussissent si bien, que les pommiers, qui sont les arbres qu’elles préfèrent, sont dépouillés de leurs feuilles par les ravages de ces insectes.


Article VII.

Chenille du chou.


Cette espèce de chenille est la plus redoutable dans les jardins potagers, à cause des dégâts qu’elle y fait. Il est peu d’années qu’on n’en voie paroître un assez grand nombre, toujours trop considérable, par rapport aux dommages qu’elle fait aux plantes potagères. Elle est surnommée chenille du chou, parce qu’elle attaque cette plante préférablement à toute autre. Elle est de moyenne grandeur ; la longueur de son corps est ornée de trois raies d’un jaune-citron ; l’espace qui est entre ces raies, est d’un blanc pâle, quelquefois un peu noir. Le papillon qui sort de sa chrysalide, est de la classe des diurnes : ses ailes, couleur de citron clair, sont piquées de points noirs. Ces papillons sont très-fréquens dans les jardins, pendant toute la belle saison : la femelle ne fait point sa ponte tout de suite comme la plupart des autres papillons ; elle voltige continuellement d’une fleur à une autre, qu’elle quitte à tout instant pour aller pondre deux ou trois œufs sur une feuille de chou : c’est-là qu’elle établit sa famille, afin qu’au moment de sa naissance, elle trouve les alimens qui sont propres à la faire subsister. Les œufs qu’elle pond sont dispersés de tous côtés sur les feuilles du chou ; on ne les trouve point rassemblés en tas, comme ceux des autres espèces ; de sorte que de deux ou trois cents œufs qu’une femelle pond, souvent on n’en trouve pas six qui soient réunis.

Si cette chenille vivoit comme la plupart des autres espèces, on auroit peu de peine à la détruire : il suffiroit de permettre à la volaille, qui en est très-avide, de se répandre dans un jardin ; dans une demi-journée, elle en détruiroit considérablement. Mais cette espèce de chenille ne se montre & ne fait ses plus grands ravages que pendant la nuit : c’est alors qu’elle sort de sa retraite pour dévorer tout ce qui s’offre à son appétit. Pendant le jour elle se tient cachée dans l’intérieur du chou, ou en dessous de ses feuilles, de sorte qu’il est impossible de l’appercevoir. Quand on veut la détruire, il faut donc lui déclarer la guerre, & la poursuivre la lanterne à la main pendant la nuit. Cet insecte est si vorace, qu’il mange, pendant une nuit, deux fois plus pesant qu’elle de feuilles de choux. On conçoit que pendant plusieurs nuits d’un si grand appétit, lorsque cette espèce est bien multipliée, elle doit faire une consommation étonnante, & dévaster entièrement un jardin.


ARTICLE VIII.

Chenille des Grains.


La chenille des grains, quoique très-petite, est cependant l’ennemi le plus redoutable & le plus dangereux pour nos moissons. Ses œufs déposés dans les épis ou sur les grains, donnent naissance à un très-petit insecte, qui perce un grain de blé pour s’y loger, & y vivre aux dépens de la substance farineuse du grain, qui est son aliment. C’est-là qu’il habite pendant tout le cours de sa vie, qu’il se transforme en chrysalide, d’où sort un papillon qui se répand dans la campagne, pour faire sa ponte sur les épis de blé. Cette petite chenille est blanche & absolument rase, sa tête est un peu brune ; elle est dans la classe de celles qui ont seize jambes. Elle se loge dans un grain de blé, qui contient la juste mesure des alimens qui lui sont nécessaires pour prendre son accroissement, jusqu’au moment de sa métamorphose. Quand ce temps est arrivé, toute la substance du grain est consommée ; l’insecte file alors une coque de soie blanche, qui est soutenue par l’écorce même du grain, dont il a mangé la substance farineuse : c’est dans cette coque qu’il passe de l’état de chenille à celui de chrysalide ; il ne sort du grain que sous la forme du papillon, par un petit trou percé sur un des côtés. Ce petit papillon est de la seconde classe des phalènes : les antennes & sa trompe sont à filets grainés ; ses ailes sont étroites, relativement à leur longueur ; en dessus, leur couleur est un canelle très-clair & luisant ; en dessous elles sont grises, de même que le dessus & le dessous des ailes inférieures. À peine ces papillons sont sortis de leur fourreau de chrysalide, qu’ils s’accouplent : les femelles se répandent ensuite dans la campagne, ou sur les tas de blé d’où elles sont sorties, pour y déposer leurs œufs.

Les œufs pondus par les femelles sont enduits d’une liqueur visqueuse, qui les rend adhérens aux corps sur lesquels elle les place. Huit jours environ après qu’ils ont été pondus, il en sort une chenille qu’on ne peut appercevoir sans le secours de la loupe ; elle se glisse dans la rainure qui sépare les deux lobes du grain : par le moyen de ses dents, elle déchire l’enveloppe du grain qui retombe sur le trou qu’elle s’est pratiqué pour y pénétrer, de sorte qu’on ne se douteroit pas qu’il soit percé. Une chenille n’attaque jamais plusieurs grains, un seul suffit pour la nourrir tant qu’elle vivra dans l’état de chenille. La vie de ces insectes est d’une courte durée ; mais aussi on en voit plusieurs générations dans la même année : dans vingt-neuf à trente jours, une génération est accomplie.

Dans l’article qui aura pour objet la conservation des grains, on trouvera les moyens qu’on emploie pour détruire ces insectes si dangereux pour les blés : il suffit de dire maintenant qu’une chaleur de soixante degrés, soutenue pendant dix heures, est capable de dessécher les chenilles, les chrysalides, les papillons, au point non-seulement de les faire mourir, mais de les rendre friables, sans que le blé perde, par cette chaleur excessive, la faculté de germer. Quand on a lieu de craindre que les blés soient attaqués des chenilles, il ne faut pas attendre long-temps pour les mettre dans le four, autrement on éprouveroit une perte considérable.


CHAPITRE III.

Dégâts des Chenilles, de leurs ennemis, et comment on peut parvenir à les détruire.


Article premier.

Des dommages que les Chenilles causent aux arbres & aux plantes.


La chenille est l’insecte le plus destructeur que nous connoissions ; elle est le fléau des jardins, des vergers, des forêts. Il y a très-peu d’arbres & de plantes que les chenilles n’attaquent, & ne dépouillent de leurs feuilles, quand elles sont en grand nombre. Elles sont si communes pendant certaines années, que très-peu de plantes échappent aux dégâts qu’elles font. En rongeant les feuilles des arbres, elles les réduisent dans un état si triste, qu’il ne diffère point de celui où nous les voyons en hiver ; avec cette différence, que la perte de leurs feuilles, dans cette saison, ne leur cause aucun dommage, ne nuit point à leur végétation ; au-lieu qu’au printemps, en été, ils languissent, & souffrent d’en être dépouillés. Quand les chenilles ont dévoré la verdure d’un arbre, elles ne l’abandonnent pas toujours, quoiqu’il semble ne plus leur offrir de quoi vivre ; elles attendent la seconde poussée, pour ronger les bourgeons. Il y a des espèces qui l’abandonnent, pour aller chercher de quoi vivre ailleurs. Un arbre attaqué par les chenilles, en est tellement fatigué, que souvent il arrive qu’il meurt l’année suivante.

Parmi les animaux de la plus grande espèce, on n’a pas d’exemple d’une voracité qu’on puisse comparer à celle des chenilles. Il n’en est aucune qui ne mange, dans l’espace de vingt-quatre heures, plus pesant de feuilles qu’elle ; quelques-unes mangent au-delà du double de leur poids. Quand elles approchent du terme de leur métamorphose en chrysalide, il semble qu’elles se préparent à supporter la diète qu’elles seront obligées de faire, en redoublant de voracité ; il est étonnant combien elles mangent alors. Le ver à soie, par exemple, a un si grand appétit avant de faire son cocon, qu’on a bien de la peine à lui fournir de la feuille ; on ne lui en a pas plutôt donné qu’il faut recommencer.

Quoique toutes les chenilles, en général, soient le fléau des végétaux, il faut cependant avouer qu’elles ne sont pas toutes également nuisibles aux arbres & aux plantes : il y a des espèces si peu multipliées, que l’on peut regarder comme nuls les dégâts qu’elles font ; d’autres vivent sur certaines plantes que nous sommes peu intéressés à conserver ; mais malheureusement il y a des espèces dont nous avons si fort à nous plaindre, & qui causent tant de dommages aux plantes qui nous intéressent, que notre haine pour elles s’étend à tout ce qui porte le nom de chenilles. Les dégâts dont nous avons à nous plaindre, excitent tellement notre vengeance envers ces insectes destructeurs, que nous ne désirons les connoître, qu’afin de les détruire, pour nous venger de tout le mal qu’ils nous ont fait.

Les ravages que font les chenilles, n’ont pas été le seul motif qui nous ait prévenu contr’elles : pendant longtemps, on a cru que cet insecte étoit venimeux. C’est une erreur qui n’a d’autre fondement que le préjugé & l’horreur qu’excitent ces insectes à quantité de personnes qui les craignent. Les volatiles dévorent les chenilles ; ils en font de très-bons repas : on a vu des enfans manger des vers à soie, sans en être incommodés ; ceux même qu’on donne à la volaille, parce qu’ils sont malades, ne lui causent aucun mal. Quoiqu’il y ait de grosses chenilles, dont l’attouchement fait naître des boutons sur la peau, qui excitent des démangeaisons, il n’y a cependant jamais d’effets dangereux à craindre. Ces boutons sont dûs à leurs poils, qui s’implantent dans les pores de notre peau, & y produisent la même sensation, les mêmes élévations que celles occasionnées par l’attouchement de l’ortie. Jamais chenille rase n’a produit de semblables effets.


Article II.

Des Ennemis des Chenilles.


Quoique les chenilles aient beaucoup d’ennemis qui leur déclarent la guerre, on a du regret que le nombre n’en soit pas plus grand, lorsqu’on considère tout le mal qu’elles peuvent faire. Leurs dégâts seroient bien plus considérables, si les fortes gelées d’hiver, & surtout les pluies froides du printemps, n’en faisoient pas mourir une partie. Celles qui sont logées dans des nids où elles peuvent braver la rigueur de la saison, n’échappent, souvent à ces deux fléaux, que pour devenir la proie de leurs ennemis, qui comptent sur elles pour vivre & nourrir leur famille pendant la belle saison. Les chenilles, au contraire, dont la chrysalide est isolée, (par exemple celles du chou) servent d’aliment aux oiseaux à bec pointu, qui passent leur hiver dans nos climats. Dans les espèces de son genre, la chenille a des ennemis acharnés à la détruire. On ne croiroit pas qu’un insecte, qui ne semble destiné qu’à ronger les feuilles, soit un animal carnassier, qui dévore les individus de son espèce. M. de Réaumur, qui a fait cette découverte, n’a pu observer que cette espèce de chenilles qui vivent sur le chêne. Il avoit mis une vingtaine de ces chenilles sous un poudrier, avec des feuilles de chêne, qu’on renouvelloit dès qu’elles étoient fanées ou rongées en partie. Tous les jours il remarquoit que le nombre de ces chenilles diminuoit ; cependant il leur étoit impossible de sortir de dessous le poudrier ; d’un autre côté, on ne voyoit point le cadavre de celles qui manquoient. Cette première observation le rendit plus attentif à examiner ce qui se passoit parmi ces insectes renfermés : il s’apperçut que lorsque quelques-unes d’entr’elles se rencontroient, la plus forte tâchoit de saisir la plus foible avec les dents, pour lui faire quelque blessure vers les premiers anneaux. Affoiblie par cette blessure, elle devenoit la proie de sa meurtrière, qui la suçoit & la mangeoit tranquillement. De ces vingt chenilles, il n’en resta qu’une seule, que M. de Réaumur fît dessiner, pendant qu’elle mangeoit la dernière de ses camarades.

Il faut observer que la chenille de cette espèce, quoi qu’elle vive sur le chêne, n’est pas de celles qu’on nomme processionnaires ou évolutionnaires, qui vivent en société. Des goûts & des inclinations aussi barbares ne peuvent point régner dans une famille qui ne se sépare jamais. Cette chenille carnassière, dont nous parlons, est de la classe de celles qui ont seize jambes : elle n’est point velue comme la processionnaire ; son corps est entièrement ras. Le fond de sa couleur est un brun noir ; elle a une raie d’un très-beau jaune tout le long de son dos ; une pareille de chaque côté, au-dessus des stigmates. Si toutes les chenilles avoient ces inclinations carnassières, on pourrait se reposer sur elles du soin de leur destruction, qui diminueroit considérablement leur nombre. Malheureusement il n’en est pas ainsi ; presque toutes les chenilles vivent entr’elles d’un bon accord, quoiqu’elles ne soient pas de la même famille, ni de la même espèce.

Les chenilles ont des ennemis qu’il ne nous est guère possible de connoître sans un cours d’observations très-exactes. Telle chenille qui nous paroît en bon état, est souvent rongée toute vive par des vers qui se nourrissent, & croissent aux dépens de sa propre substance. Il y a de ces vers qui se tiennent sur le corps de la chenille, qu’ils percent pour le sucer ; d’autres sont si bien cachés dans son intérieur, qu’on ne se douteroit pas qu’elle en ait un, quoique son corps en soit tout farci. C’est un fait dont il est facile de se convaincre : on n’a qu’à prendre des chenilles de chou, & les enfermer sous un poudrier ; on ne tarde pas à voir s’élever sur leur peau de petits tubercules blancs, qui sont les vers qui sortent de l’intérieur de la chenille. Les œufs qui contiennent les germes de ces petits vers, sont pondus par une petite mouche d’un beau verd doré, qui se promène sur la chenille du chou, pour enfoncer dans sa peau un aiguillon dont la partie postérieure de son corps est pourvue. Cet aiguillon, presque aussi long qu’elle, fait une ouverture assez profonde dans le corps de la chenille, où elle dépose un œuf qui glisse par le canal de l’aiguillon même. Ces œufs sont placés à une telle profondeur, qu’ils sont toujours à l’abri, quoique la chenille vienne à changer de peau. On comprend que les vers qui naissent de ces œufs, ne peuvent ni vivre, ni arriver au terme de leur accroissement, qu’aux dépens de la chenille qui meurt en les nourrissant. Quand ces vers ont pris tout leur accroissement, ils sortent du corps de la chenille, par des trous qu’ils font à sa peau, de côté & d’autre ; ils subissent ensuite une métamorphose en nymphes, d’où sortent de petites mouches d’un beau verd doré, qui vont ensuite se promener sur les chenilles pour y déposer les œufs de la génération qui doit leur succéder. Ces vers n’ont pas toujours le temps de prendre leur accroissement : s’ils sont déposés peu de temps avant la métamorphose de la chenille en chrysalide, ils meurent avant d’arriver à l’état qui est nécessaire pour qu’ils se changent en nymphes ; parce que, dans l’état de chrysalide, la chenille ne prend pas la nourriture qui seroit nécessaire pour réparer sa substance dévorée par ces insectes. Il y a très-peu de chenilles du chou, dans le corps desquelles on ne trouve quantité de ces vers rongeurs.

Cette espèce de chenille n’est pas la seule qui nourrisse dans son intérieur des vers qui la dévorent : plusieurs autres, quoique en moindre quantité, sont l’aliment de ces insectes carnassiers. Les mouches n’ont pas la même facilité de déposer leurs œufs dans le corps de celles qui sont velues, comme dans celui de ces espèces qui sont rases. Quelquefois on est surpris de voir des chrysalides d’une belle apparence, qui tombent en poussière lorsqu’on les touche ; le papillon n’en est certainement point sorti ; elle a été réduite dans cet état par les vers qu’elle a nourris, & qui ont dévoré sa substance. Tant que la chenille ronge les feuilles ; elle répare par de nouveaux alimens ce que les vers mangent dans son corps ; mais après sa métamorphose en chrysalide, elle succombe sous leurs dents meurtrières.

Les chenilles ont d’autres ennemis extérieurs, qui leur font une guerre aussi cruelle que les intérieurs, & qui finit par une mort plus prompte. Les punaises des bois & des jardins sont armées d’une longue trompe qu’on ne voit point, quand elles n’en font pas usage, parce qu’elle est appliquée contre leur ventre : elles la redressent pour l’enfoncer dans le corps des plus grosses chenilles, qu’elles sucent tranquillement, malgré tous leurs efforts pour s’en débarrasser. Un autre ennemi, bien plus redoutable pour elles, est un ver à onze anneaux, sans comprendre la partie postérieure & sa tête : il est plus long qu’une chenille de médiocre grandeur ; il est noir ; il n’a que six jambes écailleuses, attachées aux trois premiers anneaux. Le devant de sa tête est armé de deux pinces écailleuses, dont il perce le ventre des chenilles qu’il attaque. La plus grosse chenille, qui suffit à peine pour le nourrir pendant un jour, ne peut éviter ses poursuites ; dès qu’elle est percée au ventre, il ne la quitte plus qu’il ne l’ait entièrement dévorée. Ces insectes ont soin de se loger à portée de leur proie : on les trouve ordinairement dans les nids des processionnaires, dont la nombreuse famille fournit abondamment de quoi rassasier leur appétit, & satisfaire leur gloutonnerie. La guêpe solitaire est encore un des ennemis des chenilles : quand elles sont petites, elle les emporte dans son nid, pour nourrir ses larves. MM. de Réaumur & de Géer ont donné deux mémoires sur les ennemis des chenilles, dans lesquels on voit que ces savans naturalistes ont observé qu’il y avoit plusieurs espèces de chenilles qui étoient la pâture ordinaire des vers, qui les rongent intérieurement & extérieurement.

Les oiseaux leur font continuellement la guerre ; ils en détruisent des quantités prodigieuses, quand elles sont jeunes : ces insectes sont un mets friand pour le rossignol, la fauvette, le pinçon, &c. Le moineau, tant décrié à cause de sa voracité, en détruit un très-grand nombre pendant ses nichées ; quand il ne trouve plus de chenilles, il vole après les papillons pour les prendre & les emporter dans son nid. La guerre trop meurtrière qu’on déclare à ces sortes d’oiseaux qu’on tue ou qu’on prend dans le nid, est peut-être la cause que les chenilles sont si multipliées dans certaines années : il est évident, qu’en détruisant les espèces qui les dévorent, nous veillons à la sureté de nos ennemis, sans nous en douter.


Article III.

Des moyens qu’on peut employer pour détruire les Chenilles.


Lorsque nous observons les arbres de nos jardins, de nos vergers, dépouillés de leurs feuilles par les chenilles, qui les ont réduit dans un état languissant, qui nous fait craindre de les perdre ; lorsque nous voyons les campagnes dévastées par leurs dégâts, nous voudrions que le nombre des ennemis de ces insectes fût encore plus grand, afin qu’ils succombassent entièrement à leurs attaques. En conjurant leur perte, nous souhaitons de pouvoir anéantir leur espèce ; mais comme il y a toujours une compensation dans l’ordre de la nature, on ne peut détruire une espèce sans qu’une autre, souvent plus désastreuse, ne se multiplie : détruisez les renards, les mulots abymeront vos terres. Il faut avouer qu’il y a des années où les chenilles font de si grands ravages, qu’elles nous privent des plus beaux fruits, de l’agrément de voir une belle verdure, de nous mettre sous son ombre dans une saison où on la recherche avec plaisir, & où on en jouit avec délices : tous ces traits sont bien propres à exciter notre courroux & notre vengeance contr’elles. Pour venir à bout de nos desseins destructeurs, il faut attaquer ces sortes d’ennemis dans leur berceau : si nous attendons que l’âge les ait affranchis des entraves de leur enfance, tous nos efforts seront inutiles ; malgré nous, ils feront le mal dont ils sont capables.

Dans le détail des espèces de chenilles les plus communes & les plus à craindre, nous avons indiqué la manière dont les papillons femelles font leur ponte : cette connoissance est nécessaire pour pouvoir distinguer les nids des jeunes chenilles. Nous avons vu qu’il y en avoit qui formoient des nids en filant une espèce de coque, dans laquelle elles se retirent pendant la nuit, lorsqu’il fait froid ou qu’il pleut : voilà donc le berceau où naissent, où vivent les ennemis que nous sommes si intéressés à détruire. Pour y réussir d’une manière efficace, il faut couper les extrémités des branches, sur lesquelles ces nids sont placés, & les jetter au feu tout de suite ; parce que, si on les laissoit à terre, les jeunes chenilles qui ont été secouées, sortiroient & se répandroient par-tout. Ces nids ne sont pas toujours à la portée de notre main, quelques-uns sont placés à l’extrémité des branches des arbres très-élevés : dans ces circonstances, on se pourvoit d’une longue perche, au bout de laquelle on attache des ciseaux, nommés échenilloirs : (voyez le gravure des instrumens d’agriculture & du jardinage, au mot outils.) Le temps le plus propre pour écheniller, est lorsqu’il fait froid, parce qu’alors toutes les jeunes chenilles sont rassemblées dans leur nid. Si on n’a pas eu la précaution d’écheniller pendant l’hiver, on ne peut plus le faire qu’immédiatement après une forte pluie, qui a fait rentrer toutes les chenilles dans leur domicile : cette méthode de les détruire, est la meilleure & la plus efficace de toutes celles qu’on peut indiquer. Les autres n’attaquent que quelques individus ; mais celle-ci tend à la destruction générale de l’espèce, en faisant mourir de monstrueuses familles, qui auroient des générations à l’infini si on les laissoit subsister.

Il ne suffit pas d’attaquer les chenilles sur les arbres fruitiers, il faut encore les chercher dans les haies voisines des vergers & des jardins : si on n’avoit point cette précaution, après qu’elles auroient ravagé les arbustes sur lesquels elles naissent, on les verroit bientôt se mettre en route, pour arriver sur les arbres qui leur offriroient de quoi vivre. Cet insecte, comme nous l’avons observé, se répand par-tout où il peut nous nuire : ainsi, quoiqu’on ait bien pris la peine d’écheniller chez soi, si les voisins n’ont point eu les mêmes précautions, après que les chenilles auront tout ravagé chez eux, qu’elles ne trouveront plus de quoi y vivre, elles viendront dépouiller les arbres de celui qui aura pris les plus grands soins pour se mettre à l’abri de leurs dégâts. Il seroit à désirer qu’il y eût une loi qui ordonnât, à tous les propriétaires, d’écheniller les arbres & les haies de leurs possessions. Pour veiller à ce que tout le monde se conformât à la loi, on feroit des visites très-exactes, pour s’assurer si elle est observée : une amende contre les réfractaires, les obligeroit à veiller à leurs propres intérêts.

Quand on craint qu’un arbre ne soit attaqué par les chenilles répandues dans le voisinage, on peut enduire tout le tour du tronc, à la largeur de deux pouces, avec du miel, ou avec toute autre matière gluante & visqueuse ; lorsqu’elles veulent traverser cette barrière, leurs pattes s’y attachent, & elles ne peuvent plus avancer : alors, il faut avoir soin de visiter l’arbre de temps en temps, afin d’ôter les chenilles qui sont prises aux pièges qu’on leur a tendus, pour les écraser : si on les laissoit, leur corps serviroit de planche à d’autres, pour traverser la barrière sans s’engluer. Quelquefois on réussit à faire tomber les chenilles d’un arbre qui en est couvert, en brûlant au bas de la paille mouillée, ou celle de la litière des chevaux, qui occasionne une fumée très-épaisse, qui les étourdit : lorsqu’on mêle à ce feu un peu de souffre, la fumée est bien plus propre à les étourdir. On ne doit point leur donner le temps de revenir de cette sorte de convulsion ; il faut, au contraire, les écraser tout de suite à mesure qu’elles tombent ; autrement, dès qu’elles seroient revenues de cet état de convulsion, elles regagneroient les arbres.

Dans le Journal Économique du mois de juillet 1760, on y trouve un moyen pour les détruire, dont l’auteur assure avoir fait usage avec le plus grand succès. Ce remède, dont l’efficacité est démontrée par les effets, si nous en croyons son auteur, consiste dans une eau de savon, avec laquelle on arrose les plantes qui sont couvertes de chenilles. Dans une grande chaudronnée d’eau, on fait fondre sur le feu deux livres de savon très-commun ; quand cette eau est refroidie, on s’en sert pour asperger les plantes potagères, comme les choux, les pois, &c. & même les arbustes sur lesquels les chenilles se sont établies. On conçoit la difficulté qu’il y auroit d’employer ce moyen pour les grands arbres, quelque succès qu’on pût en attendre : pour lors, on peut avoir recours au soufre ; quoique ce moyen soit peu assuré, l’odeur de ce minéral est si contraire aux chenilles, que non-seulement elle les fait tomber en convulsion, quand elles y sont exposées, mais encore elle suffit pour les éloigner : la vapeur qui s’en élève, lorsqu’on le brûle, entre dans les conduits de leur respiration, l’arrête, les suffoque, & les fait tomber sans vie. On prend, pour cet effet, un réchaud de charbons bien allumés, qu’on promène sous les branches d’un arbre, où les chenilles se sont établies, en y jetant quelques pincées de soufre en poudre : on tient le réchaud à une distance suffisante, pour que la flamme, qui s’élève quand on y jette le soufre, n’endommage point les feuilles ; l’odeur seule qui en reste à l’arbre, suffit pour empêcher les chenilles voisines d’en approcher. Avec une livre de soufre, on peut faire mourir les chenilles d’un verger de plusieurs arpens. Tel est l’avis de plusieurs auteurs. D’après leurs témoignages, j’ai essayé cette fumigation sur des planches de jeunes choux : j’ai détruit, il est vrai, les chenilles, mais j’ai abymé les feuilles de manière qu’il ne restoit plus que le tronc. Si la vapeur a peu d’intensité, elle ne produit aucun effet ; ainsi, ce moyen nuit autant aux feuilles qu’aux chenilles ; & les feuilles qui ont poussé après cette fumigation, n’en ont pas moins été dévorées à leur tour.

On peut tenter tous ces moyens, quand il n’est plus possible d’attaquer les chenilles dans leur retraite, pour détruire la famille entière. Cependant il faut observer, qu’il est plus prudent d’écheniller pendant l’hiver, au lieu d’attendre la belle saison, pour faire usage des remèdes que nous venons d’indiquer : quelques efficaces qu’ils paroissent être au simple coup-d’œil, ils n’attaquent que quelques individus ; une très-grande partie est toujours à couvert des pièges qu’on lui tend, soit par les feuilles & les branches de l’arbre, qui empêchent la fumée & la vapeur d’arriver jusqu’à elles. M. D. L. L.