Coup d’œil sur les patois vosgiens/02

II

Les patois, c’est-à-dire, d’après l’étymologie donnée par de Chevallet, le langage de nos pères, ne sont point un résultat de la corruption de la langue française, comme on l’a prétendu longtemps ; c’est un produit indigène, direct, de tous les éléments qui se sont amalgamés dans chaque partie de la France à la suite des grands mouvements de populations opérés du 5e au 11e siècle.

Sortie de cette confusion, dans un coin assez restreint de notre sol, autour de la royauté féodale, la langue française s’est développée à mesure que l’unité se faisait dans le pays et que la royauté devenait le centre de toute activité ; tandis que là, où les pouvoirs locaux, où les coutumes, les idées tournaient dans un même cercle étroit, les idiomes provinciaux, se laissant difficilement pénétrer par celui qui primait dans la littérature, à la cour, dans les actes publics, sont restés les mêmes et ont fourni cette innombrable variété de dialectes ou de patois qui peuvent cependant se diviser en diverses zones géographiques ou ethnographiques.

Le patois parlé dans les Vosges appartient à la grande famille des idiomes rustiques du nord-est de la France, comprenant la Normandie, l’Île-de-France, l’Artois, la Picardie, le pays Wallon, la Champagne, la Lorraine, la Bour­gogne et quelques provinces du centre, enfin tous les pays de l’ancienne langue d’oïl. Les diffé­rences qui existent entre eux proviennent moins, on le sait, du fond de la langue qui est générale­ment la même, que de l’accent particulier que chaque groupe de population a imprimé aux mots et à la phrase elle-même.

Si l’on voulait trouver un type aux idiomes de cette vaste région, il serait possible de le prendre dans la langue wallonne (Liège, Namur, Hainaut, etc.), dont on peut suivre en quelques sortes les diverses transformations, les rapports, les nuances en descendant vers le sud ou en se dirigeant vers l’ouest. En suivant ainsi cet ordre géographique dans l’étude des idiomes du nord, on n’est pas étonné de trouver les rapprochements les plus intimes entre le normand, le champe­nois et le lorrain :

Facies non omnibus una,
Nec diversa tamen qualem decet esse sororum.

Placez sur la ville de Liège le point par où se tiennent les branches d’un éventail et déployez celui-ci de façon que les extrémités atteignent Cherbourg d’un côté, Besançon et Montbéliard de l’autre, vous aurez l’image du déploiement des patois dont nous parlons. D’abord plus on s’éloigne du centre d’où rayonnent les branches de cet éventail, plus la ressemblance dialectique s’efface ; elle s’arrête vers une limite indécise qu’on peut tracer vers la Loire et les autres points que nous avons cités ; en second lieu les rapports des patois entre eux sont d’autant plus éloignés que les côtés de l’angle, ainsi figurés, sont écartés, et d’autant plus étroits qu’on se rapproche du sommet. L’écartement s’explique, l’unité apparaît.

Nous ne prétendons pas que le patois wallon soit le père de ceux que nous avons nommés ; nous voulons dire que le wallon les explique presque tous, quelle que soit la filiation qui existe entre eux. En un mot il semble les résumer. Nous essaierons de tracer plus tard une classification naturelle.