Couleur du temps (LeNormand)/Pendant l’épidémie

Édition du Devoir (p. 129-130).

Pendant l’épidémie


Dimanche, dans l’église paroissiale qui a ses ornements de deuil. On entend danser la pluie et courir le vent sur les toits. L’obscurité envahit le saint lieu. À l’horloge cachée sous les tentures noires, la demie de cinq heures sonne. Et les draps funéraires étalés rendent l’ombre plus émouvante. Un peu de lumière luit cependant. La lampe du sanctuaire qui scintille, et, dans les coins, de chaque côté, les lueurs tremblotantes de cierges qui illuminent les autels de Joseph et de Marie.

Disséminés dans l’ombre, des fidèles prient. Des jeunes filles égrènent leur chapelet ou méditent, remuées par la gravité de l’heure. Des hommes sont inclinés, le front dans leurs mains. Que de salutaires pensées fait naître un pareil soir, surtout quand l’épreuve a passé ou qu’elle menace.

Des femmes à pas de velours parcourent le chemin de la croix. La pluie tombe plus raide sur le toit sonore. Un coup de vent plus fort siffle autour de l’église. Un prêtre, vêtu pour braver le temps, vient chercher le bon Dieu. Un nouveau mourant le réclame. Les fidèles qui prient ont un peu plus de détresse, un peu plus d’inquiétude à confier au Divin-Maître. Mais dans l’église si recueillie, le spectre de la mort ne révolte pas. Jésus est là. La foi, c’est la certitude du bonheur éternel.

Des minutes s’écoulent. Ensuite, d’une porte massive qui s’ouvre sort un flot de clarté. Un cortège de baptême va traverser l’église.

J’ai fini mes oraisons. Je m’en vais. Je m’unis à la suite du petit ange pour lequel les cloches vont enfin sonner joyeusement. Une naissance console d’un glas. Moi qui n’ai personne à pleurer, je puis marcher sans tristesse dans la rue où l’eau rigole. Il y a beaucoup de feuilles mouillées sur l’asphalte luisant. Rien n’est gai, rien n’a été bon dans l’atmosphère de ce jour humide. Mais les étoiles voilées reviendront demain plus brillantes.

Chez vous, si vous souffrez, ayez quand même confiance. Les jours ressemblent au ciel changeant. Il a beau pleuvoir des mois entiers, il ne peut pas pleuvoir toujours. Et puis, allez à Celui qui guérit…


(20 octobre) 1918.