Couleur du temps (LeNormand)/Impressions

Édition du Devoir (p. 66-67).

Impressions


Il y a des matins de printemps où je me sens rajeunie et gaie, comme si je n’avais jamais souffert, si aucune peine, aucune douleur, aucun regret n’avaient passé sur mon cœur. L’air plus chaud, le ciel plus bleu me pénètrent et mon âme ressemble à un grand soleil qui se lève rouge, éclatant, énorme, majestueux, et qui donne sa splendeur à tout ce qu’il baigne dans sa lumière.

Quand le printemps entre en moi ainsi victorieux, je suis une autre personne, un peu une enfant, puisque je ris à tout et ne puis même pas prier à l’église autrement que par ma joie, ayant sans cesse à l’esprit des choses drôles, que j’ai toutes les peines du monde à ne pas dire à mes voisines. J’ai une chanson qui se chante toute seule en moi, une chanson sans parole, qui parle cependant de confiance et peut-être d’amour. Si, la nuit, j’ai rêvé que j’étais au bord d’une mer bleue et que des oiseaux blancs aux ailes grises venaient dans mes mains se faire caresser, je crois que ce rêve était une réalité et que j’ai vu la mer pour vrai, et les oiseaux du ciel ! Je suis sans inquiétude, sans souci, sans ennui, comme si un bon père était là et devait me conduire sûrement à travers les chemins de la vie. Est-ce moi qui ai déjà pleuré ? Est-ce moi qui suis en deuil ? J’en doute. Je suis tellement contente. Je suis comme j’étais il y a cinq ans, quand je sortais du couvent et qu’un matin de Pâques, je lisais mon cousin Guy, avec une ferveur pleine d’illusions charmantes. En vérité, je suis ainsi jeune, quand le printemps, certains matins, m’éblouit, me renouvelle ! et si je me souviens à la réflexion des tristesses éparses dans le monde, je ne puis chasser la gaieté et la confiance qui habitent en moi, comme si j’avais des yeux neufs et ravis, des yeux que j’aurai pour l’éternité, des yeux qui ne souffriront plus…

Mais c’est un état d’âme bref et fugitif. Il pleuvra peut-être demain !