Couleur du temps (LeNormand)/Les pires heures

Édition du Devoir (p. 68-70).

Les pires heures


Les pires heures dans la vie ne sont pas les heures d’épreuve ; ce sont les heures de morne indifférence…

Sentez-vous parfois, un beau matin, malgré le soleil et le ciel bleu, une torpeur peser sur vous ? Vous sentez-vous sans entrain, sans ardeur, sans joie ? Vous sentez-vous sans peine, sans tristesse, sans hâte, sans ambition, sans rêve, sans envie ?… Vous êtes là, l’âme engourdie, l’air ennuyée : vous ne voyez rien dans demain qui vous attire, vous ne voyez rien dans hier qui vous console. Votre cœur est comme pétrifié et vous êtes si complètement las et détaché de tout que vous vous demandez avec angoisse si vous aimez au monde quelque chose.

Vous tentez de vous secouer. Vous réfléchissez. Vous appelez le ciel. Vous vous accusez d’ingratitude et de mauvaiseté. Vous avez honte de votre tiédeur, vous vous sentez rapetissé, amoindri. Vous consultez votre passé. N’étiez-vous pas confiant ? Dans l’épreuve, n’avez-vous pas su déjà vous garder le front serein ? N’avez-vous pas eu même la force de remercier Dieu, de remettre tout en ses mains, de Le louer ?

Et maintenant, enveloppé d’un voile épais d’indifférence, écoutant une voix méchante renoter en vous des : « à quoi bon », vous êtes mécontent et dégoûté. Vous avez beau être entouré de choses riantes, vous restez froid. Devant les plus éclatantes merveilles, il vous semble que vous ne laisseriez pas échapper même une exclamation, et franchement, à consulter votre esprit, vous croyez découvrir que vous avez bu à toutes les sources, que vous êtes rassasié de tout et que rien, rien, rien ne pourra vous ranimer.

Sont-ce des mains démoniaques qui pressent votre cœur ? Êtes-vous malade ? Vous vous sentez imparfait, petit, versatile, presque sans foi, sans amour. Les amitiés, en aviez-vous ? Vous en doutez. Vous apercevez les laideurs du monde comme au microscope, et le bien, vous ne le reconnaissez plus. Vous joignez les mains, vous priez, vous implorez des secours surnaturels. Aucune lumière ne s’allume pour vous et vous avez peur de ne plus mériter la joie, d’avoir fini d’être jeune, d’être gai, d’être ardent. Des heures s’écoulent ainsi, longues, ternes, douloureuses. Sans malheur, vous êtes malheureux. Sans raison de vous plaindre, vous êtes mécontent.

Quand, par hasard, ce mauvais vent souffle sur moi, quand je me sens revêche et triste malgré le demi-bonheur de ma vie, je me prends à regretter les épreuves salutaires, les vraies douleurs qui élèvent, et font comprendre le sens profond de la vie et apprécier les jours de paix.