Correspondance inédite de Hector Berlioz/085

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 242-243).
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LXXXV.


à m. auguste morel


Paris, samedi soir 25 ou 26 avril 1857.
Mon cher Morel,

Je vous remercie de votre empressement à me faire savoir que vous aviez reçu des nouvelles de Louis ; mais j’avais déjà, moi aussi, une lettre de Bombay, dans laquelle il m’apprenait à peu près les mêmes choses qu’il vous a dites. Je vous enverrai plus tard une lettre que je vous prierai de lui remettre à son arrivée à Marseille, qu’il m’annonce seulement pour la fin d’août. Je suis bien heureux qu’il puisse avoir un mois à peu près à sa disposition pour venir me faire une visite. Je me recommanderai encore à vous à cette occasion, pour veiller à ce qu’il ne vienne à Paris qu’avec une entière certitude de ne pas compromettre par ce voyage sa position à bord de la Belle-Assise, et la promesse bien formelle d’y être de retour au temps que lui indiquera son capitaine. Au reste, je le suppose plus raisonnable maintenant.

Je travaille comme vous à une énorme partition ; malgré toutes les interruptions forcées et les distractions qu’apporte la vie de Paris, j’ai fait deux actes et demi, entièrement instrumentés, polis et limés. Il me tarde cependant de ne plus traîner ce monstrueux boulet. On fait en ce moment, dans notre petit monde, un succès boursouflé à mon poème. J’en ai fait deux lectures devant deux aréopages assez compétents, l’une chez M. Édouard Bertin, l’autre chez moi. On trouve cela beau. Dernièrement, à l’une des soirées des Tuileries, l’impératrice m’en a parlé longuement. J’irai plus tard le lire à Leurs Majestés, si l’empereur a une heure de liberté. Je voudrais, quand je subirai cette épreuve, être plus avancé dans le travail de la partition, et avoir au moins trois actes achevés. Pourtant quand l’empereur ordonnerait la mise à l’étude immédiate de cet immense ouvrage, je ne pourrais y consentir. Je n’ai pas les deux femmes capables de jouer, de chanter et de représenter Cassandre et Didon.

Allez souhaiter le bonjour à Lecourt de ma part et lui serrer la main. Comment traîne-t-il la vie ? Je ne vois jamais son fils.

Obéron continue à remplir la caisse du Théâtre-Lyrique.

Dimanche matin.

Je reçois à l’instant une lettre de Lecourt. Il m’apprend que vous vous donnez un mal d’enfer pour faire aller la Fête de Roméo et Juliette. Pourquoi avez-vous tenté cela ? sans harpes ?… et sans un orchestre assez fort ?… Dites-moi comment a marché le concert.