Correspondance inédite de Hector Berlioz/086

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 244-245).
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LXXXVI.

AU MÊME.


Paris, 7 septembre 1857.

Mon cher Morel,

Vous avez encore comblé Louis de bontés et de témoignages d’affection, laissez-moi vous en remercier et vous prier aussi de présenter l’expression de ma vive reconnaissance à madame votre mère, dont Louis ne parle qu’avec attendrissement. Il commence à se montrer moins enfant et plus préoccupé de son avenir ; je ne doute pas que vos bons avis ne soient pour beaucoup dans ce progrès. Nous avons fait, lui et moi, plusieurs démarches inutiles ces jours-ci, pour avoir des nouvelles de son capitaine et de son navire. Le silence de M. Aubin commence à nous inquiéter. J’ai appris chez M. de Rothschild que l’ancien capitaine de la Belle-Assise était parti pour Marseille, afin de prendre connaissance de l’état du navire et de celui de sa cargaison. Il aura sans doute retenu M. Aubin à Marseille, pour l’aider dans cet examen. Soyez assez bon, mon cher Morel, pour vous informer au port de l’époque du retour à Paris de ces messieurs et de celle du départ de la Belle-Assise, si elle est connue. Je crois que Louis vous a déjà écrit à ce sujet. Il est en ce moment à Dieppe, où il est allé visiter une amie de sa mère, madame Lawsson, qui lui veut beaucoup de bien. Il reviendra ce soir. Je me suis remis à ma partition, et, si je n’étais pas constamment interrompu, de trois jours l’un, j’avancerais assez vite. En somme, dans six ou sept mois, l’ouvrage sera fini ; et je me mettrai, pour mieux en étudier les défauts, à arranger la partition pour le piano. Il n’y a pas de travail plus utile, en pareil cas, que celui-là ; et d’ailleurs, la partition de piano et chant a bien sa valeur intrinsèque, surtout pour les études.

Je suis tout triste du mauvais effet que vient de produire la représentation d’Euryanthe. Le poème, malgré les modifications qu’on a fort sagement fait d’y apporter, n’est pas supportable. Vous lirez ces jours-ci l’analyse que je viens de faire du drame allemand dans le Journal des Débats, je ne crois pas qu’on ait jamais mis en scène de semblables stupidités ; on n’est pas bête à ce point. Nous nous accordons tous pour louer la musique, qui contient en effet de bien belles parties, mais ne saurait, selon moi, soutenir la comparaison avec Obéron ni avec le Freyschütz. Quand va-t-on s’occuper au théâtre de Marseille de votre opéra ? tenez-moi au courant de tout ce qui s’y rapporte. Si j’avais un peu d’argent de côté, je ne manquerais pas d’aller assister à sa première représentation.

Mille amitiés à Lecourt. Théodore Ritter vient d’achever la partition de piano complète de Roméo et Juliette. C’est très clair et très jouable. Il a exécuté la semaine dernière l’ouvrage entier devant une quinzaine de personnes chez Pleyel ; Duprez et moi, nous chantions les chœurs, etc. Il a très bien joué. Cela se grave à Leipzig.

P.-S. — Le capitaine Aubin, et non Bodin, vient de venir. Il retourne à Marseille. Il avertira Louis du jour où il devra être rendu à bord. Ainsi ne vous inquiétez pas de cela.