Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 9012

9012. — À M. LE CHEVALIER DE CHASTELLUX.
24 décembre.

Je suis charmé, monsieur, d’apprendre qu’on a traduit en anglais la Félicité publique[1] car on pourrait bien prendre ce livre pour l’ouvrage de quelque Anglais comme Locke ou Addison. Je le lirai certainement en anglais, pour éclaircir mes doutes sur l’auteur.

À l’égard de la traduction allemande, je ne sais pas assez cette langue pour en juger. Je lisais autrefois le Zeitung[2], et encore avec assez de peine ; mais j’ai tout oublié. C’est assurément la marque d’un bon livre d’être traduit partout. Pour la plupart des ouvrages qu’on fait aujourd’hui en France, ils ne seront jamais traduits qu’en ridicule.

Je ne savais pas que vous eussiez honoré Père Adam d’un petit mot de lettre, ou je l’avais oublié, et je vous en demande pardon.

Je n’espère pas, monsieur, avoir l’honneur et la consolation de vous revoir une seconde fois. Je suis dans un âge et dans un état qui ne me permettent pas de m’en flatter ; mais, si jamais le hasard vous ramenait vers nos quartiers, je vous demanderais en grâce de daigner vous détourner un peu pour passer à Ferney. Je n’ai point assez joui de l’honneur que vous m’avez fait, je ne me suis point assez expliqué avec vous, je ne vous ai pas assez entendu ; je voudrais réparer mes fautes avant de partir.

Je vous souhaite, monsieur, une félicité telle que l’auteur de la Félicité publique la mérite. On dit que le bonheur est une chose fort rare ; et c’est par cette raison-là même que je le crois fait pour vous.

Agréez, monsieur, les respectueux sentiments, etc.

  1. Voyez page 239.
  2. C’est-à-dire le journal allemand intitulé Allgemeine Litteratur Zeitung (Gazette générale de littérature).