Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8898

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 428-429).
8898. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET[1].
4 auguste.

Je vous adresse, monsieur, mes remerciements[2] en droiture, comme vous me l’ordonnez.

Je n’avais jamais entendu parler de cette illustre assemblée des oies, qui ne sont pas du Capitole. Je sais seulement que celui qui se moque d’eux n’était qu’un canard enroué, qui croyait avoir la voix plus belle que celle d’Homère et de Sophocle. C’est de lui que nous sont venues les comédies de la Passion et les moralités de la mère Sotte.

Nous avons ici beaucoup de Languedochiens d’auprès de Toulouse ; mais personne ne connaît la fête des ânes et des mulets. Il faut qu’elle soit imitée de celle des chevaux, sur lesquels on jette de l’eau bénite à Rome, à la porte de l’église de Saint-Antoine.

Si Rome fait cet honneur aux chevaux, il est juste que Toulouse, qui n’est qu’une capitale de province, ne fête que des ânes. Il faut avouer que les vaches de M. Legentil[3] sont encore au-dessus des mulets et des chevaux. M. Serafton, qui a servi longtemps dans l’Inde et surtout sur le Gange, est entièrement de l’avis de M. Legentil. Il est étonné de la facilité avec laquelle les brames calculent les éclipses. Vous connaissez sans doute tout ce que dit M. Holwell sur les anciens bracmanes, et sur le livre du Shasta-Sid, qui a cinq mille ans d’antiquité. Si M. Holwell ne nous a pas trompés, c’est sans contredit le plus ancien monument de la terre. On m’a envoyé depuis peu un petit extrait de l’ouvrage de M. Legentil, tiré du Journal des Savants. Cet extrait annonce des choses bien intéressantes. Je pourrais aussi vous faire tenir incessamment quelque chose d’assez curieux sur l’Inde.

Dieu veuille que ce petit ouvrage vous parvienne.

Je mettrai dans le paquet deux exemplaires : l’un pour vous, monsieur ; l’autre pour M. d’Alembert.

L’inclément Clément n’aura pas beau jeu à désavouer les Clémentines qu’il m’a écrites[4] : j’ai tous les originaux de sa main. Je ne crois pas qu’il y ait d’êtres si méprisables dans le monde que toute cette petite canaille de la littérature. Ils avilissent les belles-lettres autant que vous honorez les sciences.

J’ai vu M. de Garville, mais je ne l’ai point assez vu ; j’étais trop malade. Il m’a paru bien digne de votre amitié.

Ce qu’on vous a dit du capitaine d’Étallonde n’est malheureusement pas vrai ; mais ce qui est assez vraisemblable, c’est qu’il peut venir un jour chez les Welches en grande compagnie.

Agréez, monsieur, les sincères assurances de mon tendre et respectueux attachement. V.

  1. Œuvres de Condorcet, tome Ier ; Paris, 1847.
  2. Pour l’envoi des Éloges.
  3. Legentil de La Galaisière, savant astronome.
  4. Trois lettres, ou plutôt trois suppliques.