Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8899

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 429-430).
8899. — À M. MARIN[1].
6 auguste.

Je reçois, monsieur, votre lettre du 31 juillet. Vous ne me dites rien du gros paquet que je vous adressai, il y a environ quinze jours, sous le couvert de M. de Sartines.

Je vous envoie aujourd’hui un petit paquet sous votre propre et privé nom. Il ne contient qu’un exemplaire Lally et qu’un Morangiès ; mais cela forme une masse assez grosse pour ne pas en hasarder deux. Vous pourrez obtenir d’imprimer ces ouvrages à Paris, si vous l’entreprenez car il me semble que vous venez aisément à bout de ce que vous voulez. En attendant, je continuerai à vous faire des envois chaque poste.

Non-seulement les mémoires de M. de Tolendal sont venus trop tard, mais il n’aurait pas été possible d’en faire usage, en quelque temps qu’on me les eût adressés. Aucun des faits allégués dans ces mémoires n’est prouvé, et dans un tel ouvrage on ne doit parler que les preuves à la main. On parle dans cet écrit d’un doyen des substituts du procureur général ; mais l’opinion de ce substitut est comptée pour rien. C’est aux conclusions du parquet que l’on s’en tient ; encore ne sont-elles pas mises au rang des voix des juges. Le parquet propose, et les juges disposent.

Le mémoire dit que le parlement envoya au roi pour le prier de ne point faire grâce ; cela est de la plus insigne fausseté.

À l’égard d’un Lally roi d’Irlande en 827, c’est une discussion que je laisse à M. d’Hozier.

Je vous dirai encore que jamais je n’attaquerai l’honneur de M. de Bussy, ni d’aucun des officiers qui ont servi dans l’Inde. Ce serait une extravagance atroce et impardonnable, qui ne servirait qu’à rendre la mémoire de M. de Lally odieuse ; et je déclare d’avance que si on veut flétrir la réputation de tous ces officiers dans l’histoire de la guerre de l’Inde, que M. de Tolendal dit être prête à paraître, c’est le plus mauvais parti et le plus dangereux que l’on puisse prendre.

Le motif de Mme de La Heuze et de M. de Tolendal est très-louable ; mais la manière dont ils paraissent vouloir s’y prendre ne serait pas prudente. Ils craignent que le public n’attribue la perte de Pondichéry aux caprices et aux emportements que tout le monde, sans exception, a reprochés à Lally ; il me semble que cette crainte est très-mal fondée. Les Fragments sur l’Inde disent expressément le contraire. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur, et je vous fais juge entre M. de Tolendal et moi.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.