Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8881

8881. — À MADAME LA DUCHESSE DE WURTEMBERG.
10 juillet.

Madame, on me dit que Votre Altesse sérénissime a daigné se souvenir que j’étais au monde. Il est bien triste d’y être sans vous faire sa cour. Je n’ai jamais ressenti si cruellement le triste état où la vieillesse et les maladies me réduisent.

Je ne vous ai vue qu’enfant, mais vous étiez assurément la plus belle enfant de l’Europe. Puissiez-vous être la plus heureuse princesse, comme vous méritez de l’être ! J’étais attaché à madame la margrave[1] avec autant de dévouement que de respect, et j’avais l’honneur d’être assez avant dans sa confidence, quelque temps avant que ce monde, qui n’était pas digne d’elle, eût perdu cette princesse adorable. Vous lui ressemblez ; mais ne lui ressemblez point par une faible santé. Vous êtes dans la fleur de votre âge : que cette fleur ne perde rien de son éclat ; que votre bonheur puisse égaler votre beauté ; que tous vos jours soient sereins ; que les douceurs de l’amitié leur ajoutent un nouveau charme ! Ce sont là mes souhaits ; ils sont aussi vifs que le sont mes regrets de n’être point à vos pieds. Quelle consolation ce serait pour moi de vous parler de votre tendre mère et de tous vos augustes parents ! Pourquoi faut-il que la destinée vous envoie à Lausanne, et m’empêche d’y voler !

Que Votre Altesse sérénissime daigne agréer du moins le profond respect du vieux philosophe mourant de Ferney.

  1. La margrave de Baireuth, sœur de Frédéric, roi de Prusse, morte en 1758 ; voyez tome VIII, page 462.