Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8773
Mon cher confrère, mon cher successeur, vous voilà donc le protecteur de l’Hôtel-Dieu, en très-beaux vers et en très-bonne prose[1] ; mais je suis encore plus content des vers, par la raison qu’ils sont cent fois plus difficiles à faire, et qu’il est beaucoup plus malaisé de bien danser que de bien marcher. Vous avez raison dans tout ce que vous dites, et il est encore bien rare d’avoir raison, soit en vers, soit en prose.
Ce M. Valade n’avait pas raison quand il disait qu’il lui était permis d’imprimer à Paris ce qui avait été imprimé à Genève, et ce qui s’y débitait publiquement : car la véritable édition des Lois de Minos n’est point encore achevée d’imprimer dans cette ville. Valade a imprimé la pièce sur un mauvais manuscrit de gens de beaucoup d’esprit[2], mais qui font des vers à la Pellegrin, et qui en ont farci mon ouvrage. J’ose dire que ma pièce est un peu différente. Le principal objet, surtout, est une assez grande quantité de notes instructives sur les sacrifices de sang humain, à commencer par celui de Lycaon, et à finir par le meurtre abominable du chevalier de La Barre. Vous verrez tout cela en son temps, et la bonne cause n’y perdra rien. Ces rapsodies seront jointes à des pièces détachées assez curieuses de plusieurs auteurs[3], parmi lesquels il y a deux têtes couronnées. Voilà tout ce que peut vous mander, pour le présent, un pauvre diable attaqué d’une strangurie impitoyable, à l’âge de près de quatre-vingts ans, lequel se moque de la strangurie, et de Valade, et des sols, et de tous les libellistes du monde.
On nous avait mandé que Fréron était mort bien ivre et bien confessé. Je suis bien aise que la nouvelle ne se confirme pas, car il aurait pour successeur Clément, l’ex-procureur, ou Savatier ou Sabatier, l’ex-jésuite. Il est plaisant que, dans votre France, l’emploi de gredin folliculaire soit devenu une charge de l’État.
Bonsoir, je souffre beaucoup ; je vous embrasse de tout mon cœur.