Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8608

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 155-156).
8608. — À M. MOULTOU[1].
2 août 1772.

Je vous remercie, mon cher philosophe, de votre Digby, mais je doute fort que nos charlatans d’aujourd’hui aient pris chez lui nos molécules organiques.

On m’apporta hier au soir ce petit imprimé sur Mlle Camp[2], sur l’abbé de Caveyrac, et sur la belle fête que nous célébrons aujourd’hui.

Tout ce qui était chez moi s’est jeté sur les exemplaires. J’ai sauvé celui-ci, que je vous envoie. On en fait aussi partir un pour Mme Necker.

Il est à croire que l’on ne verra plus de pareilles fêtes chez nos pauvres chrétiens.

Mes fêtes, à moi, sont les jours où vous voulez bien venir à Ferney. Mais elles sont trop rares.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Ce sont les Réflexions philosophiques sur le procès de mademoiselle Camp, par Voltaire lui-même.

    Le vicomte de Bombelles, chevalier de l’ordre de Saint-Lazare, officier au service du Piémont, épousa au désert, et par le ministère d’un pasteur, le 21 mars 1766, Marthe Camp, qui appartenait à une famille aisée et honorable de Montauban, et dont la beauté l’avait charmé. Leur union fut d’abord heureuse ; ils eurent une petite fille, Charlotte de Bombelles. Mais M. de Bombelles n’était qu’un débauché criblé de dettes, et trois ans après ce mariage, il fut enfermé pendant un an au For-l’Évêque. Sorti de prison, il rétablit ses affaires en épousant à Paris et devant l’Église catholique Mlle de Carvoisin ; Marthe Camp réclama devant le parlement, mais son mariage, célébré sous les seules formes possibles pour des protestants, à moins d’abjuration réelle ou simulée, n’était pas légal. Malgré un véhément mémoire du fameux Linguet, elle perdit son procès, et M. de Bombelles fut condamné seulement à des dommages-intérêts. Le parlement ordonna en outre que l’enfant fut mis dans un couvent.

    Voltaire savait qu’on n’obtiendrait rien de plus, et ne demanda rien de plus dans sa brochure, où il ne parla guère que de l’abbé de Caveyrac, du roi de Prusse et de lui-même ; il eût mieux fait de s’abstenir. Mais l’opinion n’était plus d’accord avec la loi ; M. de Bombelles, tout en gagnant son procès, fut flétri par le mépris public. Le conseil de l’École royale militaire, dont il avait été l’élève, lui écrivit une lettre officielle où on lui déclarait que la honte de sa conduite rejaillissant sur ses camarades, ils lui interdisaient de reparaître parmi eux.

    Marthe Camp trouva un appui inespéré. C’était un vieillard de soixante-dix ans, Abraham Van Robais, directeur de la manufacture de draps d’Abbeville, héritier des privilèges concédés à sa famille, quoique protestante, en 1666, par Colbert. Veuf, très-riche et très-considéré, Van Robais donna son nom à la délaissée, et plus tard, un de ses neveux et de ses successeurs, Samuel-Isaac Van Robais, épousa Charlotte de Bombelles.

    Il paraît que M. de Bombelles et sa seconde femme se crurent appuyés par Voltaire, qui, dans sa brochure faible et incohérente, avait affirmé la nullité du premier mariage. Ils lui firent plus tard, à Ferney, une visite qui ne lui plut nullement, et il écrivit contre eux cette épigramme qu’on trouve dans ses Œuvres :


    Pourquoi donc ces gens-là s’appellent-ils Bombelle ?
    Le mari n’est pas bon, la femme n’est pas belle.

    Voir la Correspondance de Grimm, les Mémoires de Bachaumont, tome VI, passim, et les Mémoires de Mme d’Oberkirch, tome I. — On peut consulter aussi le factum de Linguet et le journal le Lien, 1852, page 467. (Note du premier éditeur.)