Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8563

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 114-115).
8563. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 juin.

Non, je ne puis croire ce comble d’iniquité ; non, il n’est pas possible que mes anges abandonnent la Crète à tant d’horreurs, et qu’ils laissent plaider la cause sans que les avocats soient préparés. J’ai déjà mandé que ce pauvre diable d’avocat Duroncel travaillait comme Linguet à mettre plus d’ithos et de pathos dans son plaidoyer, et à prévenir toutes les objections de ses adversaires. Jugez-en par ces vers-ci, qui expliquent précisément quelle était l’espèce de pouvoir d’un roi de Crète :


Minos fut despotique, et laissa pour partage
Aux rois ses successeurs un pompeux esclavage,
Un titre, un vain éclat, le nom de majesté,
L’appareil du pouvoir, et nulle autorité.

(Les Lois de Minos, acte I, scène i.)

Tout ce qui pourrait fournir aux méchants des allusions impies sur les prêtres, ou quelques allégories audacieuses contre les parlements, est ou adouci ou retranché avec toute la prudence dont un avocat est capable. Enfin tous les emplâtres sont prêts, et on les appliquera sur-le-champ aux blessures faites par les ciseaux de la police. Il n’est donc pas possible, encore une fois, que des anges gardiens, des anges consolateurs, exposent aux sifflets du barreau un plaidoyer auquel on travaille tous les jours. Ils ne sont pas capables d’une telle diablerie. Ils me renverront par Marin le plaidoyer de Duroncel, tel qu’il a été estropié à la police, et on le renverra par la même voie.

Toutes les nouvelles font l’éloge de Mlle Sainval la cadette. Je supplie instamment mes anges de faire une forte brigue pour lui faire jouer Olympie à Fontainebleau. J’ai mes raisons pour cela, mais des raisons si fortes, si touchantes, si convaincantes, que, si mes anges les savaient, ils les préviendraient avec la bonté la plus empressée. Je n’ai point de nouvelles de M. le maréchal de Richelieu, et je ne sais quand il revient.

Que dites-vous du procès de la veuve Véron[1] ?

  1. Partie adverse du comte de Morangiés ; voyez tone XXVIII, page 479.