Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8562

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 113-114).
8562. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
14 juin.

Mon ange ne me mande rien ; mais des lutins m’écrivent que la distribution des Crétois a déjà excité la cabale la plus vive, la plus turbulente, la plus agissante, la plus moqueuse, la plus dénigrante, la plus assommante ; que Molé, désespéré du passe-droit qu’on lui a fait en ne lui donnant pas la moindre charge en Crète, ameute une trentaine de belles dames, lesquelles ont fait acheter tous les sifflets qu’on a pu trouver encore à Paris. Je vous ai prié, j’ai prié M. de Thibouville de m’envoyer sans délai cette pauvre Crète ; elle est déjà blessée à mort par la police : elle mourra des mains de Dauberval, de Monvel, de Dalainval, de Clavareau, de Bagnoli, et de Belmont : mais je ne veux pas être complice de sa mort. Je vous demande, avec la plus vive instance, d’avoir la bonté de me renvoyer la pièce sur-le-champ par Marin, qui la contre-signera, et je la renverrai tout de suite avec les changements qui sont prêts. Ces changements sont d’une nécessité absolue. Il est triste que le champ de bataille soit à cent trente lieues du pauvre général. Vous savez ce qui arriva à l’armée de M. de Belle-Isle, pour avoir voulu la commander de loin[1].

Je me mets à l’ombre de vos ailes ; mais écrivez-moi donc.

Vous avez du recevoir un petit paquet de moi par Marin.

  1. En 1742, le maréchal de Belle-Isle, envoyé à la diète d’élection en qualité d’ambassadeur extraordinaire, avait conservé le commandement de l’armée de Bohème, et quelques échecs furent essuyés par l’armée française.