Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8564

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 115-116).
8564. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
22 juin.

J’ai reçu enfin deux consolations de mon cher ange, du 15 et du 16. Vous savez que l’avocat polonais, qui d’abord avait été pour impression de son factum[2], et qui s’était ensuite réservé pour l’audience, voulait absolument différer cette audience même ; vous savez avec quel zèle il retravaillait son mémoire. Il est infiniment soulagé d’apprendre vos sages résolutions, et il vous supplie de vouloir bien lui renvoyer le factum, tel qu’on devait le prononcer en dernier lieu après avoir passé par l’étamine des réviseurs. Vous avez été véritablement ange gardien dans toute cette affaire, et vous mettrez le comble à vos bontés en me renvoyant sans délai ce factum, auquel on aura tout le temps de travailler.

Je réponds à la lettre du 16 que je suis comme un homme mort, dont chacun s’approprie les meubles et en fait ce qu’il veut. Figurez-vous qu’on fait actuellement quatre éditions de mes sottises, sans que je m’en mêle, sans qu’on me consulte. Les Cramer mêmes ont inséré dans leur recueil bien des choses qui ne sont pas de moi : on me mutile, on m’estropie à Paris et dans le pays étranger. Je n’avais envoyé qu’à M. le maréchal de Richelieu les Cabales, apparemment quelqu’un de ses secrétaires s’en est emparé. On me mande qu’on les a imprimées indignement : c’est ma destinée ; il faut la subir.

Lekain m’écrit qu’il pourra venir au mois de septembre ; il sera le très-bien venu et le très-bien reçu, et il pourra gagner quelque argent à la Comédie de Genève. S’il veut jouer Tancrède, Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, etc., il trouvera des actrices qui pourront un peu le seconder.

Vous ne me parlez point de la mort de Mme la duchesse d’Aiguillon. Vous ne me dites point si M. le maréchal de Richelieu revient, et vous ne me dites point qui a l’administration de la Corse. Tout cela n’eût coûté qu’un mot dans votre aimable lettre ; mais, je vous en prie, envoyez-moi le plaidoyer de notre avocat.

Je suis toujours tendrement attaché à vos deux amis[3] qui sont à la campagne. Je suis fort aise d’y être aussi, mais fort fâché d’être si loin de vous. Je me mets toujours à l’ombre des ailes de mes anges. M. de Thibouville ne m’écrit point. Mais, au nom de Dieu, envoyez-moi la pièce par Marin.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Il s’agit des Lois de Minos.
  3. Choiseul et Praslin. (G. A.)