Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8520

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 69-70).
8520. — À M. MARMONTEL.
11 avril.

Mon cher et ancien ami, qui sont les gens qui ont dit qu’on n’aime point son successeur ? Ils en ont menti ; j’étais ami de Duclos, et je suis encore plus le vôtre. Je me flatte qu’avec le titre d’historiographe vous avez une bonne pension. Martin Fréron dit que vous n’avez fait que des romans. Premièrement, je maintiens que les anciens historiens n’ont fait que cela, et ensuite je dis qu’un homme qui écrit bien une fable en écrira beaucoup mieux l’histoire. Je suis persuadé que Fénelon aurait su rendre l’histoire de France intéressante. C’est un secret qui a été ignoré de tous nos écrivains. Laissez donc braire maître Aliboron, dit Fréron. Il appartient bien à cette canaille d’oser juger les véritables gens de lettres ! Ce misérable n’a gagné sa vie qu’à décrier ce que les autres ont fait, et il n’a jamais rien fait par lui-même. Encore son devancier Desfontaines, son maître en méchanceté, avait-il donné une médiocre traduction de l’Æneide. C’est une chose bien avilissante pour la France que le Journal des Savants soit négligé parce qu’il est sage, et qu’on ait soutenu les feuilles des Desfontaines et des Fréron parce qu’elles sont satiriques. Je me suis toujours déclaré l’implacable ennemi de ces interlopes, qui sont l’opprobre de la littérature, et je suis fidèle à mes principes.

Ce que vous me mandez du nommé Clément[1] me fait voir qu’il aspire à remplacer Fréron. Ce sera une belle série, depuis Zoïle et Mœvius. Je viens de retrouver une lettre de ce misérable, dans laquelle il me demande l’aumône ; et, dès qu’il a été à Paris, il s’est mis à écrire contre moi ; mais je ne lui en sais pas mauvais gré : il m’a mis en bonne compagnie.

Sommes-nous assez heureux pour que M. d’Alembert soit notre secrétaire perpétuel ? Je réponds du moins que, s’il y a de la perpétuité, ce sera pour son nom.

Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de ceux qui veulent bien se souvenir de moi dans l’Académie. Adieu, mon cher historiographe de Bélisaire et des Incas.

  1. Voyez tome XXIX, page 371.