Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8266

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 411-412).
8266. — À M. LE MARQUIS D’OSSUN[1].
13 avril 1771, à Ferney.

Monsieur, une longue maladie, effet très-naturel de mon âge et du climat que j’habite, m’a privé du plaisir de vous remercier de toutes vos bontés. La retraite de M. le duc de Choiseul n’a pas laissé plus de santé à la ville de Versoy qu’il voulait bâtir, et à ma colonie, qu’à moi-même.

Nous sommes tous très-malades ; mais j’espère que l’État se portera bien, malgré la prodigieuse quantité de médecins qui se présentent pour le traiter. Il paraît que le roi, qui est meilleur médecin qu’eux, a entrepris sa cure et qu’il y réussira[2].

Il ne m’appartient pas de dire des nouvelles à Votre Excellence ; elle sait mieux que moi celles de la France et de l’Europe ; permettez-moi seulement de vous en dire une, digne de la générosité espagnole et de la galanterie française ; je la tiens de la propre main de l’impératrice de Russie.

Le comte Alexis Orlof, ayant pris un vaisseau dans lequel étaient toute la famille, les domestiques et les effets d’un bacha, les lui avait renvoyés à Constantinople. Ce bacha, se trouvant en dernier lieu dans l’armée du grand vizir, un officier russe y vint pour traiter de l’échange de quelques prisonniers. Le bacha lui remit sans rançon tous ceux qui lui appartenaient, le combla de présents et le pria d’assurer le comte Orlof qu’il serait toute sa vie son serviteur, son admirateur et son frère.

Quand je songe que cet empire russe est né de mon temps, et que je suis beaucoup plus vieux que Pétersbourg, je ne reviens point de ma surprise ! C’est encore un des sujets de mon étonnement que l’impératrice ne manque d’argent ni pour une guerre si dispendieuse, ni pour les fêtes qu’elle a données au prince Henri de Prusse. Cette princesse daigne accepter des montres de ma colonie, ainsi que M. le comte d’Aranda ; mais je n’en envoie point au sultan Moustapha, à qui les heures doivent paraître bien longues.

J’ai l’honneur d’être, avec un respect égal à ma reconnaissance, etc.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Il n’y a dans l’édition Beuchot que ces deux premiers alinéas.