Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8233
Mon cher lieutenant de la garde prétorienne[1], je viens de lire la meilleure pièce qu’on ait faite depuis bien longtemps, pour le fond, pour la conduite et pour le style. Je ne sais pas si elle réussit à Paris comme en province, mais je sais qu’elle est excellente, et que c’est ainsi qu’il faut écrire en prose. La pièce, à la vérité, est en six actes[2] ; mais ces six actes sont très-bien distribués, et chacun d’eux doit faire un très-bon effet. Il me paraît que l’auteur a deux choses nécessaires et rares, du génie et de l’esprit. Si, par hasard, vous le voyez à Versailles, je vous supplie de lui dire que j’admire son plan, et que je suis enchanté de son style. Cet ouvrage doit aller à l’immortalité. Rien n’est si beau que la justice gratuite, rien n’est si consolant que de n’être pas obligé d’aller se ruiner à cent lieues de chez soi : c’est le plus grand service rendu à la nation.
Comment se porte Mme Dix-neuf ans ? ferez-vous un petit tour cette année dans le Vivarais ? aurons-nous le bonheur de vous posséder ?
Mme Denis vous fait mille compliments. Le pauvre vieux malade vous embrasse comme il peut, car il n’en peut plus.