Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8214

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 360).
8214. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 19 février 1771.

Votre lettre sera portée à la grand’maman après-demain jeudi, par M. de Lauzun, son neveu, qui va la trouver. Son mari et elle jouissent de la gloire et du repos, ils paraissent parfaitement contents. Si l’ennui ne survient pas, je les tiens infiniment heureux. L’état de leurs affaires y pourrait apporter quelques obstacles, mais ils n’ont point d’enfants, ils ne sont plus engagés à la même dépense, ils peuvent s’acquitter petit à petit sur leurs épargnes ; enfin ils jouissent de la paix et de la bonne conscience. Mon plus grand désir est de les aller trouver, mais il en faut obtenir la permission, et ce n’est pas encore le moment de la demander.

Nous avons ici les princes de Suède[2], qui sont très-aimables. Ils ne veulent aucun cérémonial ; on les reçoit et on leur donne à souper en petite compagnie comme à des particuliers ; ils sont au fait de tout. Le prince royal est d’une très-bonne conversation, poli, gai, facile ; ils resteront ici jusqu’après Pâques ; le roi les traite fort bien. Le comte Scheffer[3], que vous connaissez, est avec eux, et j’ai été ravie de le revoir. Ce sera avec M. de La Vrillière qu’il travaillera sur les affaires. Ce ministre supplée à tout, il fait les fonctions de tous les emplois vacants ; on dit qu’ils le seront encore longtemps. On nous annonce un nouveau parlement pour la semaine prochaine. Les remontrances, les arrêtés, les lettres pleuvent à verse ; il n’y a jamais eu de temps semblable à celui-ci : quelques chansons, des épigrammes, des bons mots, égayent la scène. Heureusement nous avons la paix ; on dit qu’elle ne sera pas durable, mais c’est toujours beaucoup de gagner un an ou deux. Si jamais je puis me trouver à Chanteloup, je m’embarrasserai bien peu de tout ce qui arrivera.

Donnez-moi toujours de vos nouvelles, mon cher Voltaire. La disgrâce de mes parents ne vous refroidira pas pour eux, ni pour moi, à ce que j’espère.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
  2. Le prince royal, depuis Gustave III, et son frère le prince Frédéric, duc d’Ostrogothie.
  3. Le comte Scheffer avait été longtemps ambassadeur de Suède en France, où il eut pour successeur M. le comte de Creutz ; il avait accompagné le prince royal et son frère dans leur voyage à Paris.