Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8203
Le vieux solitaire, monsieur, vous fait ses compliments du fond de son cœur sur votre sous-lieutenance des gardes. Vous êtes trop heureux de servir sous M. le duc de Noailles. Je vous supplie de lui présenter mes respects : c’est l’homme de cour qui a le plus d’esprit, et qui, en disant des choses fort plaisantes, s’est toujours conduit avec le plus de sagesse. Je serai sans doute attaché jusqu’au dernier moment de ma vie à la personne que nous regrettons[1]. Je lui dois tout ; il n’est pas dans ma nature d’être ingrat. Je ferai partir lundi, 11 du mois, votre montre ; je l’adresserai à M. d’Ogny, que sans doute vous avez prévenu.
Nous mourons de faim dans nos beaux déserts ; le setier de blé y vaut environ vingt écus depuis près de quatre mois.
Je ne sais si vous connaissez un journal qu’on appelle les Éphémèrides du Citoyen[2]. Il prétend que nous ne manquons de pain que parce que nous n’avons pas vendu assez de blé à l’étranger. Vende omnia quæ habes, et sequere me[3].
Adieu, monsieur ; mes respects à Mme Dix-neuf ans. Conservez vos bontés pour le vieux malade du mont Jura.