Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8204

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 351).
8204. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
11 février.

Votre camarade le quinze-vingt, madame, affligé de la goutte et de la fièvre, ramasse le peu de forces qui lui reste pour vous écrire, et pour vous supplier de faire passer à votre grand’maman la lettre ci-jointe[1].

Je n’ai depuis huit jours aucune nouvelle de Paris dans mon enceinte de neiges. Enfermé dans mon sépulcre blanc, j’ignore où vous en êtes, si vous allez trouver votre amie à la campagne, si la personne que vous me disiez devoir être nommée[2] lundi a été en effet nommée et déclarée, si les avocats se sont remis à plaider, si le Châtelet continue à faire ses fonctions, si l’Opéra-Comique attire toujours tout Paris. Je suis mort au monde ; ce serait un état assez doux, si je ne souffrais pas horriblement.

Vous faites cas de la nation anglaise ; vous avez raison de l’estimer. Elle a trouvé un très-beau secret, c’est qu’aucun particulier chez elle ne va à la campagne que quand il lui en prend envie.

On m’a mandé que M. et Mme Barmécide[3] sont endettés de près de trois millions ; en ce cas, ils ont besoin d’une nouvelle vertu, la seule peut-être qui leur manquât, et qu’on appelle l’économie.

Mais vous, madame, comment vous êtes-vous tirée d’affaire dans les réductions qu’on a faites sur votre revenu ? Vous n’êtes pas une personne à devoir des trois millions.

Comment vous portez-vous, madame ? comment passez-vous vos vingt-quatre heures ? comment supportez-vous la vie ? La mienne est à vous, mais très-inutilement ; et probablement je ne vous reverrai jamais, ce dont je suis beaucoup plus affligé que de ma goutte et de ma fièvre. Vous ne savez pas combien le vieil ermite vous regrette.

  1. La lettre suivante.
  2. Je crois qu’il ne s’agit pas ici d’une personne, mais du parlement nouveau qu’on devait former, et qui ne fut nommé que le 13 avril. (B.)
  3. Le duc et la duchesse de Choiseul.