Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8196
Monsieur, vous ne serez point surpris qu’un homme qui a eu l’honneur de vous faire sa cour pendant que vous étiez intendant de Bourgogne vous implore pour des infortunés ; il vous voyait alors occupé du soin de les soulager.
L’avocat que je prends la liberté de vous présenter n’est point un homme que l’on doive juger par la taille[2]. Il joint à la plus grande probité une science au-dessus de son âge. Il est le défenseur de douze ou quinze mille bons sujets du roi, que vingt chanoines veulent rendre esclaves. Il a cru que quinze mille cultivateurs pouvaient être aussi utiles à l’État, du moins dans cette vie, que vingt chanoines qui ne doivent être occupés que de l’autre.
Vous connaissez cette affaire, monsieur ; vous en êtes juge. Il ne m’appartient pas d’oser vous parler en faveur d’aucune des parties ; mais il m’est permis de vous dire que l’impératrice de Russie a rendu libres quatre cent mille esclaves de l’Église grecque ; que le roi de Sardaigne a aboli la servitude dans ses États[3] ; et je puis encore ajouter à ces exemples celui du roi de Danemark, qui a la bonté de me mander qu’il est actuellement occupé à détruire dans ses deux royaumes cet opprobre de la nature humaine. Tout ce que désireraient les quinze mille hommes à qui on refuse les droits de l’humanité serait que vous en fussiez le rapporteur.
J’ai l’honneur d’être avec beaucoup de respect, monsieur, votre, etc.