Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8152

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 307-308).
8152. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
À Ferney, le 28 décembre.

Je vois, monseigneur, par votre lettre à l’Académie de Marseille, que vous êtes mon protecteur ; mais j’ai vu, par votre silence sur la colonie que j’ai établie, que vous ne me protégez point du tout. Je ne peux m’empêcher de vous dire que vous m’avez profondément affligé. Je n’ai point mérité cette dureté de votre part, je m’en plains à vous avec une extrême douleur.

Vous avez cru apparemment que ma colonie n’était qu’une licence poétique. C’est pourtant une colonie très-réelle et très-considérable, composée de trois fabriques protégées par le roi, et singulièrement par M. le duc de Choiseul. Elles réussissent toutes. Il n’y a point d’ambassadeur qui ne se soit empressé de nous procurer des correspondances dans les pays étrangers. Vous êtes le seul qui non-seulement n’ayez pas eu cette bonté, mais qui ayez dédaigné de me répondre. Que vous en coûtait-il de faire dire un mot au consul de France que vous avez à Rome ? J’attendais cette grâce de la bienveillance que vous m’aviez témoignée, et de l’ancienne amitié dont vous m’honoriez. Vous faites descendre canos meos cum mœrore ad infernum[1].

Je ne devrais pas vous faire de reproches, mais je ne suis pas glorieux. Si vous aviez voulu pour vous ou pour quelqu’un de vos amis quelque jolie montre aussi bonne que celles d’Angleterre, et qui aurait coûté la moitié moins, vous l’auriez eue en dix jours par la poste de Lyon.

Que Votre Éminence agrée, s’il lui plaît, le respect et l’extrême colère de l’ermite de Ferney.

  1. Genèse, chapitre xliv, verset 29.