Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8072

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 243-244).
8072. — À M. D’ALEMBERT.
2 novembre.

Mon cher philosophe, j’aurais bien embrassé votre voyageur qui m’apportait une lettre de vous, mais j’étais dans un accès violent des maux qui m’accablent sans cesse.

Un grand mal moral, qui pourra bien aller jusqu’au physique, c’est la publication du Système de la Nature. Ce livre a rendu tous les philosophes exécrables aux yeux du roi et de toute la cour. M. Seguier, que j’ai vu, n’a rien fait que par un ordre exprès du roi. L’éditeur de ce fatal ouvrage a perdu la philosophie à jamais dans l’esprit de tous les magistrats et de tous les pères de famille, qui sentent combien l’athéisme peut être dangereux pour la société.

J’ignore si les Questions sur l’Encyclopédie oseront paraître. Les esprits sont tellement irrités qu’on prendra pour athée quiconque n’aura pas de foi à sainte Geneviève et à saint Janvier[1]. En tout cas, voilà deux feuilles d’épreuves que je soumets à vos lumières. L’ouvrage, en général, est fort médiocre ; mais il y a des articles curieux.

Les progrès de l’impératrice, dont vous me parlez, augmentent tous les jours. Si son armée passe le Danube, je crois l’empire ottoman détruit, et l’Europe vengée.

Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher ami les malades ne peuvent écrire de longues lettres.

Cependant encore un mot : je vous demande en grâce de me dire des nouvelles de la Lerouge[2].

  1. Voyez tome XIII, pages 96-97.
  2. Voyez tome XVIII, page 276.