Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8068

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 239-240).
8068. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
Ferney.

Je me hâte, monsieur, de vous remercier de vos bontés ; je crains que ma lettre ne vous trouve pas dans vos terres du Gévaudan ; mais elle vous sera renvoyée à Paris ou à Versailles. Pourquoi n’ai-je pas eu la consolation de rendre mes hommages à ce couple aimable dans ma solitude ? Elle est bien triste ; nous y sommes tous malades[1].

Je ne pourrai vous présenter sitôt le Siècle de Louis XIV et de Louis XV. C’est un ouvrage aussi difficile qu’immense. Il y a deux ans que j’y travaille ; mais il sera fini bientôt.

Pendant que je fais mes efforts pour élever ce monument à la gloire du roi et de ma patrie, la calomnie prend des pierres pour écraser l’auteur ; le jansénisme hurle, les dévots cabalent ; on ne cesse de m’imputer des brochures contre des choses que je respecte et dont je ne parle jamais. Les assassins du chevalier de La Barre voudraient une seconde victime ; vous ne sauriez croire jusqu’où va la fureur de ces ennemis de l’humanité : la solitude, les maladies, rien ne les désarme, rien ne les apaise ; il s’élève une espèce d’inquisition en France, tandis que celle d’Espagne pleure d’avoir les griffes coupées et ses ongles arrachés ; ceux même qui méprisent et qui affligent le plus le chef prétendu de l’Église se font une gloire barbare de paraître les vengeurs de la religion, tandis qu’ils humilient le pape : ils deviennent persécuteurs, pour avoir l’air d’être chrétiens ; on immole tout, jusqu’à la raison, à une fausse politique. Adieu, monsieur ; j’en dirais trop, je m’arrête. Donnez-moi votre adresse quand vous serez à Paris, et un moyen sûr de vous faire parvenir ce que je pourrai attraper de nouveau et de digne d’être lu par vous ; il faut faire un choix dans la multitude des brochures qui viennent de Hollande.

Adieu, couple aimable ; je vous souhaite à tous deux un bon voyage. Agréez mes respectueux sentiments.

Le vieil Ermite.

  1. Ce billet, auquel on avait cousu jusqu’alors celui du 12 octobre, ne nous semble pas être ici à sa place. Ce qui suit appartient également à une autre époque. (G. A.)