Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8035

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 209-210).
8035. — À M. DE CHABANON.
28 septembre.

M. d’Alembert, mon cher ami, me donne les mêmes consolations que j’ai reçues de vous, quand vous avez égayé et embelli Ferney de toutes vos grâces. Non-seulement il n’a point de mélancolie, mais il dissipe toute la mienne. Il me fait oublier la langueur qui m’accable, et qui m’a empêché pendant quelques jours de vous écrire. Il arriva à Ferney dans le moment où M. Seguier en partait. J’aurais bien voulu qu’ils eussent dîné ensemble ; mais Dieu n’a pas permis cette plaisante scène.

En récompense, j’ai M. le marquis de Condorcet, qui est plus aimable que tout le parquet du parlement de Paris.

Il me paraît qu’on maltraite un peu en France les pensées et les bourses. On craint l’exportation du blé et l’importation des idées. Platon dit que les âmes avaient autrefois des ailes ; je crois qu’elles en ont encore aujourd’hui, mais on nous les rogne.

Pour les ailes qui ont élevé l’auteur du Système de la Nature, il me paraît qu’elles ne l’ont conduit que dans le chaos. Non-seulement ce livre fera un tort irréparable à la littérature, et rendra les philosophes odieux, mais il rendra la philosophie ridicule. Qu’est-ce qu’un système fondé sur les anguilles de Needham ? quel excès d’ignorance, de turpitude, et d’impertinence, de dire froidement qu’on fait des animaux avec de la farine de seigle ergoté ! il est très-imprudent de prêcher l’athéisme ; mais il ne fallait pas du moins tenir son école aux Petites-Maisons.


Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

(Racine, les Plaideurs, acte I, scène viii.)

Voilà ce que je dis toujours, et sauve qui peut ! et sur ce je vous embrasse tendrement ainsi font tous ceux qui habitent Ferney.