Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7869

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 63-64).
7869. — À M. D’ALEMBERT.
À Ferney, 27 avril.

Il n’y a pas d’apparence, mon cher philosophe, mon cher ami, que ce soit à Voltaire vivant[1] ; ce sera à Voltaire mourant, car je n’en puis plus ; et depuis quelques jours je sens que je suis au bout de mon écheveau. Je me regarde, dans votre entreprise illustre, comme votre prête-nom. On veut dresser un monument contre le fanatisme, contre la persécution ; c’était vous, c’était Diderot qu’il fallait mettre là ; je me tiens pierre d’attente.

N’allez pas, au reste, y mettre une barbe de capucin : car, tout capucin que je suis, je n’en porte point la barbe.

Il ne serait pas mal que Frédéric se mit au rang des souscripteurs cela épargnerait de l’argent à des gens de lettres trop généreux qui n’en ont guère. Il me doit cette réparation, et vous êtes le seul qui soyez à portée de lui proposer cette bonne œuvre philosophique. Il vous a envoyé sans doute le petit ouvrage qu’il a composé en dernier lieu[2], dans le goût de Marc-Aurèle, pendant qu’il avait la goutte : cela sent encore plus son Frédéric que son Marc-Aurèle.

Je vous suis très-obligé de l’article de M. Duclos. Je vous supplie de l’en bien remercier : il est clair, par ce nom même d’Audouer, qui est actuellement en fuite, qu’il y a beaucoup de turpitude dans cette affaire. On m’assure que Fréron jouait alors le rôle d’espion à Rennes, et qu’il l’est à Paris ; voilà la source cachée de la protection qu’il obtient. L’anecdote de la chaîne[3] dont maître Aliboron tenait le bout, est curieuse, et tout à fait digne de ceux qui protégent ce maraud. Il est plaisant que certain libraire[4] ait l’honneur d’être lié avec vous et avec M. Diderot, après avoir imprimé tant de sottises atroces contre vous deux dans les ordures de ce folliculaire. Il a eu même la bêtise d’imaginer d’en faire une édition nouvelle par souscription : l’excès de ce ridicule l’a couvert de honte. J’ai peur qu’il ne fasse une mauvaise fin.

Il est vrai que les feuilles de maître Aliboron eurent d’abord un cours prodigieux, et furent l’école de tous les petits provinciaux ; mais cela est tombé au fond de la bourbe du fleuve de l’oubli avec les ouvrages extravagants de Jean-Jacques, qui vaut pourtant beaucoup mieux que lui.

Adieu, mon digne et illustre ami ; et si mon mal de poitrine augmente, adieu pour toujours.

  1. Voltaire parle de sa statue (voyez lettre 7870) ; mais s’il rappelle ici l’expression d’une lettre de d’Alembert, cette lettre manque.
  2. Le Dialogue de morale à l’usage de la jeune noblesse.
  3. Voyez le mémoire à la suite de la lettre 7833.
  4. Panckoucke ; voyez lettre 7854.