Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7854

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 48).
7854. DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, le 12 avril.

M. Duclos est arrivé il y a dix ou douze jours, mon cher et illustre maître. Je n’ai rien eu de plus pressé que de lui donner le mémoire sur le sieur Royou. Il m’a demandé un peu de temps pour faire des informations ; et c’est ce qui a retardé tant soit peu la réponse que je vous dois à ce sujet. Il s’est donc informé à différentes personnes de Bretagne, qui sont à Paris, et qui lui ont toutes assuré que ce Royou est à la vérité un homme de beaucoup d’esprit, mais un très-mauvais sujet. On a dû écrire, il y a quelques jours, en Bretagne, pour avoir plus de détails, et on attend la réponse, dont je ne manquerai pas de vous faire part. En attendant, M. Duclos, qui me charge de vous faire mille compliments et remerciements de votre confiance, vous exhorte à aller, comme on dit, bride en main, et à ne pas vous intéresser pour ce Royou, avant que de savoir s’il en est digne.

Vous n’ignorez pas, sans doute, que notre confrère était allé à Saintes pour négocier avec M. de La Chalotais, qui n’a voulu entendre à rien, et qui ne demande qu’à être jugé et à retourner à ses fonctions. Voilà l’affaire de M. le duc d’Aiguillon entamée : elle pourrait devenir très-sérieuse ; mais elle pourrait bien aussi n’aboutir à rien, comme il n’arrive que trop dans ce drôle de pays.

Le libraire Panckoucke, qui voit toujours ses cent mille écus en l’air, par la déconfiture de l’Encyclopédie, se propose d’aller incessamment vous rendre ses hommages. C’est un honnête garçon dont je crois que vous serez content, quoiqu’il ait fait, pendant quelque temps, comme vous le lui avez dit[1], la litière de maître Aliboron, qui même lui doit encore beaucoup d’argent.

Nous attendons de belles fêtes[2] qui seront, à ce qu’on dit, magnifiques ; en attendant, nous n’avons pas le sol ou le sou ; nous danserons bien, et nous rirons tant bien que mal, mais nous mourrons de faim. Quant à moi, j’ai toujours assez peu d’envie de rire, attendu mon imbécillité, qui continue ; mais cette imbécillité ne m’empêchera pas de vous chérir et de vous honorer comme je le dois.

  1. Voyez tome XLIII, page 224.
  2. Pour le mariage du dauphin, depuis Louis XVI.