Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7832

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 23-24).
7832. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
Le 19 mars.

Je crois, mon cher Cicéron, qu’il ne sera pas difficile de vous faire tenir les pièces de l’interrogatoire de Sirven par le nouveau juge nommé pour juger en première instance. J’attends ces pièces dans deux ou trois jours. Je les avais demandées inutilement pendant quatre mois. Vous verrez ce que vous en pourrez faire. Le fumier deviendra or entre vos mains.

Vous aurez le temps de faire votre mémoire pour Pâques ; c’est après Pâques que l’affaire sera jugée.

Vous vous ressouvenez bien que Sirven était détenu très rigoureusement au secret par l’ancien juge même de Mazamet, qui s’était fait le geôlier de son confrère subrogé à sa place. Il ne lui était pas permis de recevoir une lettre. Il a fallu que j’aie écrit au procureur général, et que je lui aie envoyé une lettre ouverte pour Sirven. Le procureur général a réprimandé le geôlier-juge ; et le nouveau juge, nommé Astruc, forcé de reconnaître l’innocence de Sirven, n’a donné sa sentence que comme le diable est obligé de reconnaître la justice de Dieu.

Je crois qu’on a pillé un peu Sirven dans sa prison, car j’ai été obligé de lui envoyer de l’argent deux fois.

Je dévore votre factum pour M. de Lupé. J’en suis à l’endroit où la mère voit le portrait de Henri IV et de Louis XV. Si vous plaidiez devant eux, vous gagneriez bientôt votre cause avec dépens.

L’abbé Grizel n’était-il pas confesseur de Fréron ? Que dites-vous de l’enlèvement de nos rescriptions ? sont-elles plus justes que l’enlèvement du beau-frère de maître Aliboron ? Saviez-vous que ce coquin était espion de la police, et que c’était cela seul qui le soutenait, et qui lui facilitait les moyens de vivre dans la plus infâme crapule ?

Mon cher ami, je vous crois nécessaire dans Paris : plus les injustices sont atroces, plus on a besoin d’un homme comme vous.

Mme Denis et moi, qui sentons également votre mérite, nous vous bénissons tous deux, et je vous donne aussi mon autre bénédiction de capucin dans ce saint temps de carême.

P. S. Si vous voyez M. de La Harpe, dites-lui combien je l’aime, lui et sa Religieuse.