Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7745

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 524-525).
7745. — À M. LE COMTE DE SCHOMRERG.
5 janvier.

Monsieur, quand l’ermite du mont Jura s’intitulait le pauvre vieillard, il n’avait pas tort. Sa santé et ses affaires étaient également dérangées, et le sont encore. Malheur aux vieillards malades ! La faiblesse extrême où il est ne lui a pas permis d’écrire pendant un mois entier, il est tout à fait hors de combat, et d’ailleurs excédé par des travaux qui l’avaient d’abord consolé des misères de ce monde.

Soyez très-persuadé, monsieur, qu’il n’a jamais trempé dans l’infâme complot que quelques parents et amis avaient fait de l’arracher à sa retraite. Il connaît trop le prix de la liberté, et celui du repos nécessaire à son âge. Il est sensible à vos bontés comme s’il était jeune. Il voit d’ailleurs, avec une honnête indifférence, qui gouverne et qui ne gouverne pas, qui se remue beaucoup pour rien et qui ne se remue pas, qui tracasse et qui ne tracasse pas ; il aime, il estime votre philosophie, et rend justice à vos différentes sortes de mérite ; il mourra votre très-attaché.

si vous n’avez pas un petit livre de Hollande intitulé Dieu et les Hommes[1], je pourrai vous en procurer un par un ami ; vous n’avez qu’à ordonner.

Si vous voyez M. d’Alembert, voici un petit article pour lui.

Je sais qu’un homme qui fait des vers mieux que moi lui a récité des bribes fort jolies d’un petit poëme intitulé Michaud, ou Michon et Michette[2], et qu’il lui a dit que ces gentillesses étaient de moi. Le bruit en a couru par la ville. Il est clair cependant qu’elles sont de celui qui les a récitées. C’est, dit-on, une satire violente contre trois conseillers au parlement, qui sont des gens fort dangereux. On met tout volontiers sur mon compte, parce qu’on croit que je peux tout supporter, et qu’étant près de mourir, il n’y a pas grand mal de me faire le bouc émissaire. Après tout, je crois l’auteur trop galant homme pour m’imputer plus longtemps son ouvrage. Il est dans une situation à ne rien craindre de MM. Michon ou Michaud, supposé qu’il y ait des conseillers de ce nom. Je ne suis pas dans le même cas ; et d’ailleurs je n’ai jamais vu un seul vers de cet ouvrage. Je ne doute pas que M. d’Alembert, quand il reverra l’auteur, qui n’est pas actuellement à Paris, ne lui conseille généreusement de se déclarer, ou d’enfermer son œuvre sous vingt clefs.

Voilà, monsieur, ce que je vous supplie de montrer à M. d’Alembert dans l’occasion. Je ne lui écris point, je suis trop faible, et c’est un effort pour moi très-grand de dicter même des lettres.

Adieu, monsieur ; je serai, jusqu’au dernier moment, pénétré pour vous de la plus tendre estime. Je ne cesse d’admirer un militaire si rempli de goût, d’esprit et de bonté.

  1. Tome XXVIII, page 129.
  2. Voyez une note sur la lettre 7688.