Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7189

Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 541-542).
7189. — À M. DORAT.
À Ferney, le 1er mars.

J’ai toujours sur le cœur, monsieur, la calomnie qui m’impute mille ouvrages que je ne connais pas, et la mauvaise foi qui se sert de mon nom pour faire courir des épigrammes que je n’ai ni faites ni pu faire. Cette mauvaise foi m’a été extrêmement sensible.

J’appris, il y a quelques mois, qu’on prétendait que j’avais récité une épigramme, ou plutôt des vers contre vous, qui me paraissent très-injustes, quoique assez bien faits[1]. Cette imposture fut confondue, mais je fus très-affligé. J’en écrivis à Mme Necker[2], qu’on me dit être votre amie : je vous en écris aujourd’hui à vous-même, monsieur. Quoique j’aie eu quelques légers sujets de me plaindre de vous, je l’ai entièrement oublié, et les excuses que vous avez bien voulu me faire m’ont infiniment plus touché que le petit tort dont j’avais sujet de me plaindre[3] ne m’avait été sensible. Il m’était impossible, après cela, de rien faire qui pût vous déplaire. J’étais d’ailleurs malade et mourant quand cette épigramme parut. Songez au temps où elle fut faite ; pouvais-je alors deviner que vous eussiez une maîtresse à l’Opéra ? était-ce à moi de la faire parler ? Je n’ai jamais vu les vers que vous avez composés pour elle ; en un mot, monsieur, je suis trop vrai et j’ai trop de franchise pour n’être pas cru, quand j’ai juré à Mme Necker, sur mon honneur, que je n’avais nulle part à cette tracasserie.

C’est à vous à savoir quels sont vos ennemis. Pour moi, je ne le suis pas : j’ai été très-affligé de cette imposture. J’ai des preuves en main qui me justifieraient pleinement ; mais je ne veux ni compromettre ni accuser personne. Je me bornerai à mon devoir : c’est celui de repousser la calomnie.

Voilà, monsieur, ce que la vérité m’oblige à vous écrire, et cette même vérité doit en être crue quand je vous assure de toute l’estime et de tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

  1. C’est l’épigramme de La Harpe, qui commence par ce vers :

    Bon Dieu, que cet auteur est triste en sa gaité !


    voyez lettre 6784.

  2. Voyez lettre 7112.
  3. Voyez une note sur la lettre 6632.