Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6603

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 523-524).

6603. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
6 décembre.

Anges excédés et ennuyés, si votre copiste a porté sur la pièce cinq paquets de corrections, il peut fort bien copier encore la sixième ; mais je jure, par tous les sifflets possibles, que ce sera la dernière.

J’apprends d’ailleurs que ce n’est pas pour moi que le four chauffe actuellement ; on est occupé de la pomme de Guillaume Tell et de la capilotade d’un cœur qu’on fait manger à la dame de Vergy[2]. Je sais que ces barbaries passeront devant ma pastorale. Je ferai donc ce qu’on prétend que disait le cardinal de Bernis au cardinal de Fleury : J’attendrai. J’en suis fâché à cause de l’alibi, car la rage des calomniateurs est montée à son comble.

Les affaires de Genève ne vont pas trop bien. J’ai peur que les médiateurs n’aient le désagrément de voir leurs propositions rejetées ; mais je m’intéresse encore plus aux Scythes qu’aux Genevois.

Vous avez lu sans doute le mémoire contre les commissions[3] : il y a des fautes ; mais il me paraît écrit avec une éloquence forte et attachante. Savez-vous que le dernier projet de Jean-Jacques était de revenir à Genève ? C’était apparemment pour s’y faire pendre ; il ne sera pas fâché de l’être, pourvu que son nom soit dans la gazette.

Le cœur me dit que je recevrai aujourd’hui une lettre de mes anges. Mais je me donne toujours la petite satisfaction de leur écrire, avant d’avoir le grand plaisir de recevoir de leurs nouvelles. Il faut savoir que le courrier de Ferney part à sept heures du matin, et que les lettres de France n’arrivent qu’à deux ou trois heures après-midi. Respect et tendresse.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Guillaume Tell, joué le 17 décembre ; et la Gabrielle de Vergy, par de Belloy.
  3. Par l’avocat Chaillou.