Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6596

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 518-519).

6596. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 29 novembre 1766.

Voici vraisemblablement, monsieur, la lettre que vous attendiez de Versailles ; je me hâte de vous l’envoyer.

Les têtes Genevoises sont encore bien en l’air sur l’ouvrage de la médiation. Il faut croire que c’est la fin de leur accès.

Nous nous sommes proposé vingt fois, monsieur l’ambassadeur et moi, de vous avertir que votre justice est prête à tomber, et que son penchant l’entraîne à écraser quelque honnette voyageur qui passera sur le grand chemin sans penser à mal. Votre intention n’est pas que ce qui est fait pour effrayer les méchants devienne funeste aux bons. Faites donc redresser ou plutôt remplacer ces quatre piliers, symbole de votre pouvoir sur vos vassaux. Ils interceptent le chemin de Ferney. Les bons catholiques se signent et passent le long du fossé opposé ; mais tous ceux qui vont vous voir n’usent pas de cette recette, et vous, qui aimez les hommes, vous seriez au désespoir que quelque mécréant fût écrasé sous la chute d’un gibet, comme vous l’êtes quand par malheur on y en accroche quelqu’un pour faire peur aux autres.

Pardon, monsieur, de ma remarque géographique, je fais ici l’office de grand-voyer. Si cet épouvantait pouvait écarter de Ferney tous les ennuyeux, je vous dirais : Laissez-le, et prévenez vos amis de faire le grand tour. Mais vous savez qu’en ce bas monde la chance n’est pas toujours pour les bons. Puisse votre commissionnaire passer encore une fois intact ce dangereux pas.

Je vous embrasse, et me recommande ainsi que le public à votre charpentier.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin. 1825.