Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6541

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 468-469).

6541. — À M. COLINI.
À Ferney, 22 octobre.

Mon cher ami, vous savez que la Renommée a cent bouches, et que, pour une qui dit vrai, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui mentent. Il y a plus de deux ans que je ne suis sorti de la maison ; à peine ai-je pu aller dans le jardin cinq ou six fois. Vous voyez que je n’étais pas trop en état de voyager. Si j’avais pu me traîner quelque part, ç’aurait été assurément aux pieds de votre adorable maître ; et je vous jure encore que si j’ai jamais un mois de santé, vous me verrez à Schwetzingen[1], mes soixante et treize ans ne m’en empêcheront pas ; les passions donnent des forces.

Voici ce qui a donné lieu au bruit ridicule qui a couru. Le roi de Prusse m’avait envoyé cent écus pour ces malheureux Sirven, condamnés comme les Calas, et qui vont enfin être justifiés comme eux. Le roi de Prusse me manda même qu’il leur offrait un asile dans ses États[2], Je lui écrivis que je voudrais pouvoir aller les lui présenter moi-même ; il montra ma lettre. Ceux à qui il la montra[3] mandèrent à Paris que j’allais bientôt en Prusse ; on broda sur ce canevas plus d’une histoire. Dieu merci, il n’y a point de mois où l’on ne fasse quelque conte de cette espèce. Un polisson vient d’imprimer quelques-unes de mes lettres[4] en Hollande. Je suis accoutumé depuis longtemps à ces petits agréments attachés à une malheureuse célébrité. Ces lettres ont été falsifiées d’une manière indigne ; il faut souffrir tout cela, et j’en rirais de bon cœur si je me portais bien.

Mettez-moi aux pieds de Leurs Altesses électorales, mon cher ami : présentez-leur mon profond respect et mon attachement inviolable.

  1. Maison de plaisance de l’électeur palatin.
  2. Voyez lettres 6409, 6450, 6474, 6498.
  3. Tronchin fils.
  4. La Beaumelle ; voyez une note sur la lettre 6537.