Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6178

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 132-133).

6178. — À M.  DAMILAVILLE.
4 décembre.

Mon confrère Saurin, mon cher frère, m’a envoyé son Orpheline léguée[1], et je lui en fais mes remerciements par cette lettre[2] que je vous adresse. Je ne crois pas que ce legs ait valu beaucoup d’argent à l’auteur. Il y a beaucoup d’esprit dans son ouvrage, bien de la finesse, une grande profondeur de raison dans les détails ; les vers sont bien faits, le style est aisé et agréable ; et avec tout cela une pièce de théâtre peut très-bien n’avoir aucun succès. Il faut vis comica pour la comédie, et vis tragica pour la tragédie ; sans cela toutes les beautés sont perdues. Ayez la bonté de lui faire parvenir ma lettre.

Je viens d’être bien attrapé par un livre[3] que j’avais fait venir en hâte de Paris. L’annonce me faisait espérer que je connaîtrais tous les peuples qui ont habité les bords du Danube et du Pont-Euxin, et que j’entendrais fort bien l’ancienne langue slavone. L’auteur, M.  Peyssonnel, qui a été consul en Tartarie, promettait beaucoup, et n’a rien tenu. Je mettrai son livre à côté de l’Histoire des Huns, par Guignes, et ne les lirai de ma vie. J’attends, pour me consoler, le ballot que Briasson doit m’envoyer[4]. Il ne songe pas qu’en le faisant partir au mois de janvier par les rouliers, il m’arrivera au mois de mars ou d’avril.

Je ne sais de qui est une analyse qui court eu manuscrit, et qui est très-bien faite. Les erreurs grossières d’une chronologie assez intéressante y sont développées par colonnes. On y voit évidemment que si Dieu est l’auteur de la morale des Hébreux, comme nous n’en pouvons douter, il ne l’est pas de leur chronologie. Mais ces discussions ne sont faites que pour les savants ; et pourvu que les autres aiment Jésus-Christ en esprit et en vérité, il n’est pas nécessaire qu’ils en sachent autant que Newton et Marsham.

Bonsoir, mon cher frère. Écr. l’inf…

  1. Voyez lettre 6157.
  2. Celle qui précède.
  3. Observations historiques et géographiques sur les peuples barbares qui ont habité les bords du Danube et du Pont-Euxin, 1765, in-4o.
  4. Les volumes de l’Encyclopédie ; voyez lettre 6157.