Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5878

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 434-435).

5878. — À M.  DAMILAVILLE.
12 janvier.

Quelle horreur ! quelle abomination, mon cher frère ! il y a donc en effet des diables ! Vraiment, je ne le croyais pas. Comment peut-on imaginer une telle absurdité ? Suis-je un prêtre ? suis-je un ministre ? En vérité cela fait pitié. Mais ce qui fait plus de pitié encore, c’est l’affreuse conduite de Jean-Jacques ; on ne connaît pas ce monstre.

Tenez, voilà deux feuillets de ses Lettres de la montagne, et voilà la lettre que j’ai été forcé d’écrire à Mme  la maréchale de Luxembourg[1], qu’il a eu l’adresse de prévenir contre moi. Je vous prie de n’en point tirer de copie, mais de la faire lire à M. d’Argental : c’est toute la vengeance que je tirerai de ce malheureux. Quel temps, grand Dieu, a-t-il pris pour rendre la philosophie odieuse ! le temps même où elle allait triompher.

Je me flatte que vous montrerez à Protagoras-Archimède la copie que je vous envoie. Je vous avoue que tous ces attentats contre la philosophie par un homme qui se disait philosophe me désespèrent.

Frère Gabriel doit avoir envoyé une petite lettre de change payable à Archimède[2]. Je verrai lundi les premières épreuves, il sera servi comme il mérite de l’être. Si vous voulez être informé de toutes les horreurs de Jean-Jacques, écrivez à Gabriel, il vous en dira des nouvelles. Le nom de Rousseau n’est pas heureux pour la bonne morale et la bonne conduite.

Au reste, mon cher frère, je serais très-fâché que mes Lettres prétendues secrètes[3] fussent débitées à Paris. Quelle rage de publier des lettres secrètes ! J’ai prié instamment M. Marin de renvoyer ces rogatons en Hollande, d’où ils sont venus. Je suis bien las d’être homme public, et de me voir condamné aux bêtes comme les anciens gladiateurs et les anciens chrétiens. L’état où je suis ne demande que le repos et la retraite. Il faut mourir en paix ; mais, afin que je meure gaiement, ècr. l’inf…

  1. La lettre du 9 janvier, n° 5875.
  2. D’Alembert, pour son ouvrage Sur la Destruction des jésuites.
  3. Voyez tome XXV, page 59, et XXVI, 135.