Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5855

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 409-410).

5855. — À M.  PIERRE ROUSSEAU[1].
25 décembre.

Quelque mépris qu’on ait pour la calomnie, il est quelquefois nécessaire de la réfuter. Un libraire d’Amsterdam a cru qu’il était de son intérêt d’imprimer sous mon nom des bêtises hardies[2]. Il a débité une brochure intitulée Ouvrage posthume de M. de M. Y ; le Testament de Jean Meslier, autre brochure, etc. ; et il a donné à ce petit recueil le titre de Collection complète des ouvrages de M. de V. Comment un si petit livre peut-il être intitulé Collection complète, et comment une œuvre posthume de M. Y, et un testament d’un homme mort il y a trente ans, peuvent-ils être de moi ? Je ferai encore une autre question : Comment ne punit-on pas un tel délit, qui est celui d’un calomniateur et d’un faussaire ? Un autre libraire s’est avisé d’imprimer l’Arètin[3] sous mon nom. Un autre donne mes prétendues Lettres secrètes ; mais, mon ami, si elles sont secrètes, elles ne doivent donc pas être publiques. Il ne se passe guère de mois où l’on ne m’attribue quelques ouvrages dans ce goût.

Je ne les lis point, et c’est ce qui me console d’avoir presque entièrement perdu la vue ; mais je ne me consolerais pas de ces impertinentes imputations si je ne savais que les honnêtes gens voient avec indignation cet abus de la presse, et que les hommes en place ne jugent pas sur des brochures de Hollande et sur des gazettes. Il faut pardonner cet abus de l’imprimerie en faveur du bien qu’elle a fait aux hommes.

  1. Cette lettre a été imprimée dans le Journal encyclopédique, 1765, janvier, II, 145-146 ; et dans le Mercure, 1765, janvier, II, 125-126.
  2. Voyez la note 3, page 384.
  3. L’Arétin parut pour la première fois en 1763, in-12. Il a été réimprimé plusieurs fois sous le titre de l’Arétin moderne. Je n’ai point vu l’édition avec le nom de Voltaire. L’auteur est l’abbé Dulaurens, auteur du Compère Matthieu, etc. ; né en 1719, mort en 1797.