Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5856

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 410-411).

5856. — À M.  DAMILAVILLE.
26 décembre.

J’ai reçu, mon cher frère, l’histoire de la Destruction[1], qui est l’ouvrage de la raison et de l’esprit, mais qui ne sera pas enregistré. J’ai reçu aussi l’autre ouvrage[2] qui l’a été, mais qui, ce me semble, ne vaut pas l’autre. Cramer va faire, avec grand plaisir, tout ce que vous avez recommandé. Vous me paraissez juger aussi bien de la déraison en finances que du galimatias en théologie. Une des grandes consolations de ma vie, c’est que j’ai retrouvé toujours ma façon de penser dans tout ce que vous m’avez écrit : cela est assez à l’honneur de la philosophie. Le bon sens parle le même langage. Les géomètres font dans tout l’univers les mêmes démonstrations, sans s’être donné le mot.

Voici un petit mot de lettre pour Archimède-Protagoras[3], dont l’ouvrage m’a enchanté. Que j’aime sa précision, sa force, et sa plaisanterie ! qu’il est sage et hardi ! qu’il est le contraire de Jean-Jacques !

Ce Jean-Jacques vient de traiter le conseil de Genève comme il a traité Christophe de Beaumont. Il veut mettre le feu dans sa patrie[4] avec les étincelles du bûcher sur lequel on a brûlé son Émile. Je crois qu’il s’attirera quelque méchante affaire. Il n’est ni philosophe ni honnête homme ; s’il l’avait été, il aurait rendu de grands services à la bonne cause.

Je suis étonné que le médecin anglais ne soit pas encore arrivé à Paris, et qu’il ne vous ait pas rendu le petit paquet ; apparemment qu’il s’amuse à tuer des Français en chemin. Savez-vous que Marc-Michel Rey, imprimeur de Jean-Jacques, a eu l’abominable impudence de mettre sous mon nom[5] le Jean Meslier, ouvrage connu de tout Paris pour être de ce pauvre prêtre ; le Sermon des Cinquante, de La Mettrie ; l’Examen de la Religion, attribué à Saint-Évremont, etc. ? Tout a été incendié à la Haye, avec le Portatif ; voilà une bombe à laquelle on ne s’attendait point.

Je prends toutes les mesures nécessaires pour détruire tant de calomnies ; mais j’ai grand’peur qu’Omer ne se réveille au bruit de la bombe. Il serait triste qu’on vînt m’enfumer dans mon terrier à l’âge de soixante-onze ans. Mme  Denis, ma nièce, a écrit à d’Hornoy, son neveu, conseiller au parlement, et lui a insinué d’elle-même qu’il devait aller, si cela était nécessaire, parler à Omer au palais, et lui dire que, s’il fait une sottise, il ne doit pas au moins me nommer dans sa sottise ; qu’il offenserait sans raison une famille nombreuse qui sert le roi dans la robe et dans l’épée ; qu’il est sûr que le Portatif n’est point de moi, et que cet ouvrage est d’une société de gens de lettres très-connus dans les pays étrangers.

Vous avez vu mon d’Hornoy à l’occasion d’une certaine Olympie ; seriez-vous homme à le voir à l’occasion d’un certain Portatif. Pourriez-vous l’encourager, s’il a besoin qu’on l’encourage ? Vous êtes un vrai frère, qui secourez dans l’occasion les frères opprimés.

On doit avoir actuellement les édits ; j’en suis curieux comme d’une pièce nouvelle. Mandez-moi, je vous prie, si cette pièce réussit, ou si elle est sifflée. L’Arbitrage[6] ne fera pas une grande sensation ; on est las de toutes ces disputes ; et quand il s’agit de sottises présentes, on se soucie fort peu de celles qui sont attribuées au cardinal de Richelieu.

Il y a d’autres sottises qui doivent être l’objet éternel de l’attention des frères ; partant, ècr. l’inf…

  1. En manuscrit.
  2. Les édits royaux.
  3. D’Alembert : la lettre manque.
  4. Voyez la lettre 5853.
  5. Voyez la note 3, page 384.
  6. Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne, tome XV, page 321.