Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5830

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 385-386).

5830. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
27 novembre.
à l’un de mes anges, ou aux deux ensemble.

Les lettres se croisent, et le fil s’embrouille. La lettre du 21 novembre m’apprend ou qu’on n’avait pas encore reçu les lettres patentes de Mlles Doligny et Luzy, ou qu’elles ont été perdues avec un paquet adressé, autant qu’on peut s’en souvenir, à M. de Courteilles. Tous mes paquets ont été envoyés depuis un mois à cette adresse, excepté un ou deux à l’abbé Arnaud ou à Marin. Il serait triste qu’il y eût un paquet d’égaré. Dans ce doute, voici de nouvelles patentes.

Je vous ai mandé[1] que M. de Riclielieu m’avait donné toute liberté sur la distribution de ces bénéfices. Si M. de Richelieu change d’avis, je n’en changerai point ; je crois son goût pour Mlle  d’Épinay[2] passé, et j’imagine que sa fureur de vous contrecarrer sur les affaires du tripot est aussi fort diminuée.

Je vous supplie, mes divins anges, d’assurer M. Marin de ma très-vive reconnaissance. Je voudrais bien pouvoir la lui marquer, et vous me feriez grand plaisir de me dire comment je pourrais m’y prendre.

Il est très-vrai que j’avais fait une balourdise énorme en ajoutant, à la réponse faite à M. de Foncemagne en 1750, les noms du cardinal Albéroni et du maréchal de Belle-Isle[3] ; je fis cette sottise en corrigeant l’épreuve à la hâte. On est bien heureux d’avoir des anges gardiens qui réparent si bien de pareilles fautes. Mais je jure encore, par les ailes de mes anges, que j’ai retrouvé parmi mes paperasses cette lettre[4] de 1750, écrite de la main du clerc qui griffonnait alors mes pensées ; je ne trompe jamais mes anges.

On m’a mandé qu’un honnête homme, qui a approfondi la matière du testament, et qui ne laisse rien échapper, a porté une sentence d’arbitre entre M. de Foncemagne et moi. On la dit sage, polie, instructive, et très-bien motivée[5].

Il paraît tous les mois sous mon nom, en Angleterre ou en Hollande, quelques livres édifiants. Ce n’est pas ma faute ; je ne dois m’en prendre qu’à ma réputation de bon chrétien, et mettre tout aux pieds du crucifix.

J’ai bien peur que maître Omer ne veuille me procurer la couronne du martyre. Ces Omer sont très-capables de joindre au Portatif la tragédie sainte de Saül et David, que le scélérat de Besongne, libraire de Rouen, a imprimée sous mon nom ; messieurs pourraient bien me décréter, et quoique je ne fasse cas que des décrets éternels de la Providence, cette aventure serait aussi embarrassante que désagréable. Je connais toute la mauvaise volonté des Omer ; je n’ai jamais été content d’aucun Fleury, pas même du cardinal, pas même du confesseur du roi, auteur de l’Histoire ecclésiastique ; je ne conçois pas comment il a pu faire de si excellents discours, et une histoire si puérile.

Au reste, je ne me porte pas assez bien pour me fâcher, et mes yeux sont dans un trop triste état pour que je revoie les roués. Je me sers d’une drogue qui me rendra ou qui m’ôtera la vue tout à fait ; je n’aime pas les partis mitoyens.

Mes chers anges, conservez-moi vos célestes bontés. Toute ma famille se prosterne à l’ombre de vos ailes.

On nous parle aussi d’une petite assignation de notre curé[6]. La robe de tous côtés me persécute ; mais je ne m’épouvante de rien. Je trouve que plus on est vieux, plus ou doit être hardi. Je suis du sentiment du vieux Renaud[7], qui disait qu’il n’appartenait qu’aux gens de quatre-vingts ans de conspirer.

  1. Voyez page 365.
  2. Voyez la note, tome XLII, page 308.
  3. Le Testament du cardinal Albéroni est de 1753, celui du maréchal de Belle-Isle est de 1761. C’est une balourdise énorme de les avoir cités dans un morceau que Voltaire disait avoir écrit en 1750.
  4. C’est le passage guillemeté tome XXV, pages 277-281.
  5. L’Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne est de Voltaire lui-même : voyez tome XXV, page 321.
  6. Le curé avec qui il était en procès pour les dîmes.
  7. Probablement Nicolas de Renault, dont il est parlé dans la Conjuration contre Venise.