Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5789

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 345-347).

5789. — À M. DAMILAVILLE.
12 octobre.

Voici, mon cher frère, un petit mot pour frère Protagoras[1].

Je ne sais si je vous ai mandé que l’article Messie, du Portatif, était du premier pasteur de l’église de Lausanne[2]. L’original est encore entre mes mains, et on en avait envoyé une copie, il y a cinq à six ans, aux libraires de l’Encyclopédie. Ce morceau me parut assez bien fait : vous pouvez voir si on en a fait usage. Il me semble que le même ministre, qui se nomme Polier de Bottens, en avait envoyé plusieurs autres.

L’article Apocalypse est fait par un homme d’un très-grand mérite, nommé M. Abauzit[3] ; et l’article Enfer est traduit en grande partie de M. Warburton, évêque de Glocester.

Vous voyez que l’ouvrage est incontestablement de plusieurs mains, et qu’ainsi on a très-grand tort de me l’attribuer. On m’a véritablement alarmé sur cet ouvrage ; ainsi ne soyez point étonné de la fréquence de mes lettres.

Informez-vous de ce qu’est devenu le Messie de Polier : vous verrez la vérité de vos propres yeux, et vous serez en droit de le persuader aux autres ; vous verrez surtout, par le détail[4] que je vous fais, qu’il y a dans toute l’Europe d’honnêtes gens très-instruits, qui pensent et qui écrivent librement. Chacun, de son côté, combat le monstre de la superstition fanatique : les uns lui mordent les oreilles, d’autres le ventre, et quelques-uns aboient de loin. Je vous invite à la curée ; mais il ne faut pas que le tonnerre tombe sur les chasseurs.

Lisez, je vous prie, les Questions proposées à qui pourra les résoudre, page 117, dans le Journal encyclopédique, du 15 de septembre[5]. L’auteur a mis partout, à la vérité, le mot de bête à la place de celui d’homme ; mais on voit assez qu’il entend toujours les bêtes à deux pieds, sans plumes. Il n’y a rien de plus fort que ce petit morceau : il ne sera remarqué que par les adeptes ; mais la vérité n’est pas faite pour tout le monde ; le gros du genre humain en est indigne. Quelle pitié que les philosophes ne puissent pas vivre ensemble !

J’apprends dans le moment une nouvelle que je ne veux pas croire, parce qu’elle m’afflige trop pour vous. On dit qu’on supprime tous les emplois concernant le vingtième. Je ne puis croire qu’on laisse inutile un homme de votre mérite. Mandez-moi, je vous prie, ce qui en est, et comptez, mon cher frère, que je m’intéresse plus encore à votre bien-être qu’à écr. l’inf…


mémoire.

Un jeune homme destiné à former une grande bibliothèque ramassa, il y a quelques années, en Suisse quelques manuscrits, dont quelques-uns étaient pour le Dictionnaire des sciences et des arts[6] :

Entre autres l’article Messie, d’un célèbre pasteur de Lausanne, homme de condition et de beaucoup de mérite ; article très-savant et très-orthodoxe dans toutes les communions chrétiennes, et qui fut envoyé en 1760, de la part de M. Polier de Bottens, aux libraires de l’Encyclopédie ;

Un extrait de l’article Apocalypse, manuscrit très-connu de M. Abauzit, l’un des plus savants hommes de l’Europe, et des plus connus, malgré sa modestie ;

L’article Baptême, traduit tout entier des œuvres du docteur Middleton ;

Amour, Amitié, Guerre, Gloire, destinés à l’Encyclopédie, mais qui n’avaient pu être envoyés ;

Christianisme et Enfer, tirés de la Légation de Moïse, de milord Warburton, évêque de Glocester ;

Enfin plusieurs autres morceaux imités de Bayle, de Le Clerc, du marquis d’Argens, et de plusieurs auteurs.

Il en fit un recueil qu’il imprima à Bâle. Ce recueil paraît très-informe, et plein de fautes grossières. On y trouve Warburton, évêque de Worchester[7] pour évêque de Glocester.

On y dit que les Juifs eurent des rois huit cents ans après Moïse, et c’est environ cinq cents ans[8].

On compte huit cent soixante-sept ans depuis Moïse à Josias : il faut compter plus de onze cents[9].

Il dit que plus de soixante millions font la deux cent trentième partie de seize cents millions : c’est environ la vingt-sixième.

L’ouvrage est d’ailleurs imprimé sur le papier le plus grossier et avec les plus mauvais caractères : ce qui prouve assez qu’il n’a point été mis sous presse par un libraire de profession.

On voit assez par cet exposé combien il est injuste d’attribuer cet ouvrage et cette édition aux personnes connues auxquelles la calomnie l’impute.

On est prié de communiquer ce mémoire aux personnes bien intentionnées qui peuvent élever leur voix contre la calomnie.

  1. D’Alembert : c’est la lettre précédente.
  2. Voyez la note, tome XX, page 62.
  3. Voyez la note, tome XXVI, page 567.
  4. Voyez lettre 5789.
  5. Voyez tome XXV, page 257.
  6. C’est l’Encyclopédie.
  7. oyez tome XX, ]) page 348 ; nous avons laissé cette faute, corrigée ou signalée ailleurs : voyez tome XXV, pages 9 et 142.
  8. La faute a été corrigée dés 1765 ; voyez tome XX, page 100.
  9. Cette faute est aussi corrigée dans les éditions de 1765 ; voyez tome XX, page 98.