Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5738

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 296-297).

5738. — À M. DAMILAVILLE.
9 auguste.

Mon cher frère, vous fatiguerai-je encore du dépôt de mes lettres, que vous avez la bonté de faire parvenir à leur destination ? En voici une[1] que je vous supplie de faire tenir à M. Blin de Sainmore, à qui vous avez donné un Corneille. Il a fait une petite brochure[2] contre les préjugés de la littérature, qui me paraît assez bien, quoiqu’elle ne soit pas assez approfondie. Vous savez qu’il faut encourager tous les ennemis des préjugés.

S’il vous restait quelques exemplaires de Corneille, je vous supplierais d’en faire tenir un à M. le marquis Albergati, sénateur de Bologne ; mais comment envoyer à Bologne ? Je crois que tout va par les voitures publiques, et qu’en mettant le paquet à la diligence de Lyon il arriverait à bon port ; mais je ne veux pas vous causer un tel embarras, et abuser à ce point de votre amitié et de votre activité, deux bonnes qualités que je souhaite à frère Thieriot.

Il faut que je vous conte que Palissot ne s’éloigne pas de vouloir se raccommoder avec les philosophes. Il m’a écrit plusieurs fois ; je lui ai répondu[3] que je ne pouvais lui pardonner d’avoir attaqué des gens de mérite qui, pour la plupart ayant été persécutés, devaient être sacrés pour lui.

J’en reviens toujours à gémir avec vous de voir les philosophes attaqués par ceux mêmes qui devraient l’être, par ceux qui pensent comme nous, et qui auraient combattu sous les mêmes étendards s’ils n’avaient pas été possédés du démon de l’envie et de celui de la satire. Par quelle fureur enragée, quand on veut être satirique, n’exerce-t-on pas ce talent contre les persécuteurs des gens de bien, contre les ennemis de la raison, contre les fanatiques ?

Dites-moi, je vous prie, si frère Platon est lié avec le secrétaire de notre Académie. Je crois que ce secrétaire ne sera jamais l’ennemi de la philosophie ; mais je ne crois pas qu’il veuille se compromettre pour elle. Nous avons des compagnons, mais nous n’avons point de guerriers.

Vous souvenez-vous du petit ouvrage attribué à Saint-Évremont[4] ? On le réimprime en Hollande, revu et corrigé, avec plusieurs autres pièces dans ce goût. On m’en a promis quelques exemplaires, que je ne manquerai pas de faire passer à mon cher frère.

Bonsoir ; je ferme ma lettre, et je vous jure que ce n’est pas pour être oisif. Écr. l’inf…

  1. Elle manque.
  2. C’est la Lettre sur la nouvelle édition de Corneille, citée tome XXXI, page 175.
  3. Voyez les lettres 5610 et 5728.
  4. L’Analyse de la religion chrétienne.