Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5609

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 175-176).

5609. — À M. DAMILAVILLE.
2 avril.

Mon cher frère, je vous envoie l’avis d’Esculape-Tronchin. Tout Esculape qu’il est, il ne vous apprendra pas grand’chose : vous savez assez que la vie sédentaire fait bien du mal aux tempéraments secs et délicats. Si j’étais assez insolent pour ajouter quelque chose aux oracles d’Esculape, je conseillerais les eaux de Plombières, ou quelques autres eaux chaudes et douces, en cas que la fortune de la malade lui promette de faire ce voyage sans s’incommoder, car il n’est permis qu’aux gens riches d’aller chercher la santé loin de chez eux ; et à l’égard des pauvres, ils travaillent et guérissent. Le voyage, l’exercice, des eaux qui lavent le sang et qui débouchent les canaux, rétablissent presque toujours la machine. Je voudrais aussi qu’on fit lit à part : un mari malsain et une femme malade ne se feront pas grand bien l’un à l’autre, attendu que mal sur mal n’est pas santé. Voilà l’avis d’un vieux routier qui n’est pas médecin, mais qui depuis longtemps ne doit la vie qu’à une extrême attention sur lui-même.

J’ai oublié, dans ma dernière lettre, de vous prier de m’envoyer Macare imprimé, avec la lettre au grand-fauconnier[1]. Il faut que ce grand-fauconnier ait le diable au corps de faire imprimer ces rogatons.

Ne pourrai-je jamais m’édifier avec l’Instruction pastorale de Christophe ? Je suis fou des pastorales, depuis celle de Jean-George ; elles m’amusent infiniment. Est-il vrai qu’il y a un jésuite, nommé Desnoyers, qui a bravement signé le formulaire imposé aux ci-devant soi-disant jésuites ?

Est-il vrai qu’on a mis au pilori la grosse face de l’abbé Caveyrac, apologiste de la Saint-Barthélémy et de l’institut de Loyola ? S’il est de la maison de Gaveyrac[2], c’est un homme de grande qualité ; mais il se peut que ce soit un polisson qui ait pris le nom de son village.

Il me paraît que nosseigneurs de parlement vont grand train. Quand serai-je assez heureux pour avoir le libelle de ce prêtre[3] ? C’est un coquin qui ne manque pas d’esprit ; il est même fort instruit des fadaises ecclésiastiques, et il a une sorte d’éloquence. Frère Thieriot devrait bien s’amuser un quart d’heure à m’écrire tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait. Vous ne me parlez plus de ce paresseux, de ce négligent, de ce loir, de cet ingrat, de ce liron qui passe sa vie à manger, à dormir, et à oublier ses amis. Il n’a rien à faire ; et vous, qui êtes accablé d’occupations désagréables, vous trouvez encore du temps pour écrire à votre frère.

Dieu vous le rende ! vous avez une âme charmante. Écr. l’inf…

  1. La lettre du 6 février, n° 5554.
  2. Jean Novi de Caveyrac, né à Mines le 6 mars 1713, est mort en 1782.
  3. Il s’agit ici du : Il est temps de parler, que Voltaire croyait être de Caveyrac, mais qui est de l’abbé Dazès ; voyez page 137.