Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4747

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 524-525).

4747. — MÉMOIRE À TOUS LES ANGES,
m. le comte de choiseul étant essentiellement compté pour un d’iceux.
Ferney, 12 novembre.

Notre comité, qui vaut bien le vôtre, sauf respect, vu qu’il est composé de gens du tripot et de très-bons acteurs, est obligé de vous déclarer qu’il ne peut être de votre avis sur la plupart de vos objections.

Nous frémissons d’indignation quand vous nous proposez de mettre notre pièce à la glace, par une confidence froide et inutile d’Olympie à sa suivante, et d’affadir le tout par une scène inutile d’amour au commencement du premier acte. Cela serait très-bien inventé pour ôter tout l’effet du coup de théâtre que produit le mariage de Cassandre et d’Olympie, et pour rendre ridicules les remords de Cassandre, et pour ôter toute la force à la scène vigoureuse où l’on justifie la mort d’Alexandre : car, messieurs et mesdames, la terreur des remords et les réflexions sur la mort d’Alexandre seraient très-mal placées après des scènes amoureuses. Ce n’est pas là la marche du cœur. Vous me citez Zaïre ; mais songez-vous que le piquant des premières scènes de Zaïre consiste dans l’amour d’un Turc et d’une chrétienne, sans quoi cela serait aussi froid que la déclaration de Xipharès[1] ?

Nous pensons[2] que vous vous méprenez infiniment, sauf respect, quand vous croyez qu’Olympie est le premier rôle ; il ne l’est que quand Statira est morte. Quoi ! vous croyez qu’Olympie est faite pour Mlle Clairon ? Ah ! tout comme Zaïre. C’est Statira qui est le grand rôle. Ah ! comme nous pleurions à ces vers :


J’ai perdu Darius, Alexandre, et ma fille ;
Dieu seul me reste[3].


C’est que Mme Denis déclame du cœur, et que chez vous on déclame de la bouche.

Nous sommes respectueusement et sincèrement de l’avis du comité sur une certaine prière que faisait Cassandre, et non pas Cassander, à une certaine Antigone ; il y a d’autres détails que nous avons corrigés sur-le-champ, selon les vues très-justes du comité.

Nous vous envoyons une petite esquisse de nos corrections, qui, jointe à celles que vous avez déjà, est capable de boucher les trous des sifflets ; mais, pour mieux faire, envoyez-nous la pièce, et nous vous la rendrons mise au net.

Délibéré dans la troupe de Ferney, le 12 novembre de l’an de grâce 1761.

  1. Dans Mithridate, acte I, scène ii.
  2. Cet alinéa est répété presque tout entier dans la lettre du 27 novembre, n° 4762.
  3. Olympie, acte II, scène ii.