Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4680

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 446-447).

4680. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
Ferney, 16 septembre.

Je vous envoie, mon très-cher maître, ma lettre du 20 auguste, à laquelle j’ai ajouté des détails nécessaires, qui tiendront lieu d’un programme, que je n’aime point. Envoyez-moi quatre lignes en réponse, et faites imprimer le tout par le moyen de frère Thieriot.

Je vous réitère ce que j’ai déjà mandé à notre secrétaire perpétuel, que je vous envoie mes ébauches, et que je travaillerai à tête reposée sur les observations que l’Académie veut bien mettre en marge. Je donne quelquefois des coups de pied dans le ventre à Corneille, l’encensoir à la main ; mais je serai plus poli.

Vous souvenez-vous de Cinna ? C’est le chef-d’œuvre de l’esprit humain ; mais je persiste toujours non-seulement à croire, mais à sentir vivement, qu’il fallait que Cinna eût des remords immédiatement après la belle délibération d’Auguste[1]. J’étais indigné, dès l’âge de vingt ans, de voir Cinna confier à Maxime qu’il avait conseillé à Auguste de retenir l’empire pour avoir une raison de plus de l’assassiner. Non, il n’est pas dans le cœur humain qu’on ait des remords après s’être affermi dans cette horrible hypocrisie. Non, vous dis-je, je ne puis approuver que Cinna soit à la fois infâme et en contradiction avec lui-même. Qu’en pense M. Duclos ? Moi, je dis tout ce que je pense, sauf à me corriger. Vale.

  1. Acte II, scène i ; voyez tome XXXI, page 337.