Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4681

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 447-448).

4681. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
Ferney, 19 septembre.

Je vous demande deux grâces, mon cher maître : la première, de convenir que les remords de Cinna auraient fait un effet admirable s’il les avait éprouvés dans le temps qu’Auguste lui dit : « Je partagerai l’empire avec vous, et je vous donne Émilie. » Une fourberie lâche et abominable, dans laquelle Cinna persiste, ôte à ses remords tardifs toute la beauté, tout le pathétique, toute la vérité même qu’ils devraient avoir ; et c’est sans doute une des raisons qui font que la pièce est aussi froide qu’elle est belle.

M. le duc de Villars vient d’en raisonner avec moi : il connait le théâtre mieux que personne ; il ne conçoit pas comment on peut être d’un autre avis. Relisez, je vous en prie, mes observations sur Cinna, que je renvoie à M. Duclos. Je vous dirai, comme à lui, qu’il faut de l’encens à Corneille et des vérités au public.

L’Impératrice de Russie souscrit, comme le roi, pour deux cents exemplaires. L’empressement pour cet ouvrage est sans exemple.

La seconde grâce que je vous demande est de vouloir bien mettre M. Watelet[1] dans la liste de nos académiciens qui encouragent les souscriptions pour Mlle Corneille. Non-seulement M. Watelet prend cinq exemplaires, mais il a la bonté de dessiner et de graver le frontispice ; il nous aide de ses talents et de son argent ; gardez donc que l’ami Thieriot ne l’oublie. Ces petits soins peuvent vous amuser dans votre heureux loisir. Je porte un fardeau immense, et j’en suis charmé. Aidez-moi, instruisez-moi, écrivez-moi.

  1. Voyez tome VII, page 244.