Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4621

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 378-379).

4621. — À M. ***[1].
Au château de Ferney en Bourgogne, par Genève, 30 juillet.

Dans une petite transmigration, monsieur, d’une maison à une autre, la lettre dont vous m’honorâtes en date du 1er juin s’était égarée. Mme du Perron m’ayant appris à qui je devais cette lettre, j’ai été fort honteux ; j’ai cherché longtemps, et j’ai enfin trouvé ; mais ce que je ne trouverai pas, c’est la solution de votre problème. Quand on demanda à Panurge lequel il aimait le mieux d’avoir le nez aussi long que la vue, ou la vue aussi longue que le nez, il répondit qu’il aimait mieux boire.

Vous me demandez lequel est le plus plaisant de savoir tout ce qui s’est fait ou tout ce qui se fera : c’est une question à faire aux prophètes ; ces messieurs, qui connaissaient l’avenir si parfaitement, étaient sans doute instruits également du passé. Il faut être inspiré de Dieu pour savoir bien parfaitement son prétérit, son futur, et même son présent. Notre espèce est fort curieuse et fort ignorante. Celui qui saurait l’avenir saurait probablement de fort sottes et de fort tristes choses, et entre autres l’heure de sa mort : ce qui n’est pas extrêmement plaisant à contempler. J’aime mieux au fond de la boîte de Pandore l’espérance que la science, et je suis de l’avis d’Horace :


Prudens futuri temporis exitum
Calignosa nocte premit Deus.

(Lib. III, od. xxix.)

Ce que je sais le mieux, c’est que j’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre, etc.

  1. Cette lettre est peut-être adressée au bourgmestre de Middelbourg dont il est question dans la lettre 4616, si ce n’est pas un personnage supposé.